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Préface
Table des Matières

 
 

 

La Supplique d'Antoine Doguin

Souffre, ô cœur gros de haine, affamé de justice. André Chénier

En 1793, la Révolution progressait sur le chemin escarpé de la Terreur. Acculé par la débâcle en une terre étrangère, Hercule Le Beaussaint s'était éteint. Plus jamais les Chevaliers de Morgueil ne se pavaneraient dans le Manoir des Sangliers dont les patriotes avaient pillé le mobilier, arraché les tapisseries, éventré les tableaux et démantelé la chapelle seigneuriale. Le château avait été réquisitionné et un tribunal révolutionnaire siégeait autour de la table miraculeusement préservée de la Salle Ronde. Fils de l'ancienne lingère du Manoir, Pierre Maresque était en charge des missions d'enquêtes sur les suspects et avait souffert autrefois des étreintes du chevalier. Sa haine déferla sur Antoine Doguin lorsque le vieillard lui fut mené poings liés. Il décida de la mort du dernier intendant du domaine seigneurial au terme d'un réquisitoire fanatique dans lequel avait été délayée l'absence de charges. La juridiction de Morgueil ne disposait pas de guillotine, en lieu de quoi l'accusateur préconisa une exécution à la mode passée des aristocrates. Allongé de force sur la table ronde, Antoine proclama son innocence avec véhémence. Le bourreau se hissa sur une caisse en bois pour atteindre la hauteur requise. La victime hurla quand la hache entama son épaule en projetant du sang sur l'uniforme immaculé de Pierre. Il ne fallut pas moins de trois autres coups pour apaiser ses plaintes déchirantes et décoller enfin la tête blanchie du tronc.

Feu de la rampe

L'esprit s'élèvera
(il n'est jamais trop tard)
Ceint d'un nouvel éclat
(son ultime avatar).

La main ferra son épaule au moment où il posait le pied sur la seconde marche du Grand Escalier. Il virevolta. Appuyée sur la rampe, Balkis retroussa ses lèvres sur des dents éclatantes. "Plus le temps passe, plus je me terrifie. J'ai les pattes velues d'un bouc et j'étais la seule à l'ignorer." Silice se força à sourire. "Trop de personnes se sentent insultées de ma présence. Tu crois que je leur fais peur ? A toi aussi, je fais peur ? J'ai cru que je te plaisais." Silice s'assit sur la marche. "Tu es choquée comme nous tous." Elle harponna le regard bleu. "Je regrette la limpidité des rapports avec Marie. Elle me détestait. Ses politesses étaient des morsures." Les lèvres de Silice s'étirèrent en croissant de lune. "Je ne jugerai pas ta conception de l'amitié." Gorbuth entra dans le Petit Salon sans avoir remarqué leur présence. "Je n'ai aucune espérance en ce qui concerne Gorbuth et Cécile. Ils me collent une étiquette périmée. Mais pourquoi Massacra, Sanctis et toi me fuyez comme la peste ?" Il balaya l'air de la main et Balkis le considéra avec indulgence. "C'est un peu trop pour ta sensibilité de poète ?" Il bredouilla. "J'écris... un roman.
- C'est plus ambitieux que le Cadavre Exquis.
- Ce sont des fragments à peine esquissés.
- Y trahis-tu le secret de ton âme ?"
Il défroissa les plis de sa chemise à carreaux. "Tu es trop curieuse." Il monta à sa chambre avec la bénédiction de Balkis qui imagina par jeu l'univers que sa propre écriture explorerait. Elle exclut d'emblée tendresse et sexualité, opta pour la sérénité surgie des méandres existentiels. Elle laissait à Silice le talent de revendiquer comme sienne la vie qu'il inventait. (.../...)