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Préface
Table des Matières

 
 

 

Le déclin des jours

L'incertitude du présent, sans compter celle de l'avenir, affolait ses tripes.

Ingénieur-chercheur rattaché au CNRS, je suis à la recherche d'un sens à donner à ma vieille carcasse. S'il m'arrive de me considérer comme un être de chair au cœur palpitant, ça ne suffit pas à nourrir mon orgueil ni à me donner le courage de m'intéresser à mes congénères. Mon tempérament n'est pas suicidaire et j'ai d'excellentes raisons pour ça : cultivé, beau, intelligent, meneur, aimé et affectueux, je ne suis rien de moins que le sel de la terre... Je plaisante bien sûr. Ma philosophie de vie se limite à l'existence de mon petit frère qui, lui, est véritablement cultivé, beau, intelligent, brillant en tout domaine... Bref, Sanctis est le sel de notre misérable terre !
Je l'aime depuis que la mort de mon père l'a fait échouer dans mes bras. Certains se moquent de ce qu'ils appellent mon sacerdoce. Eh bien, qu'ils continuent ! Il m'a été confié pour que je le soutienne ma vie durant. Je vois avec ses yeux. Je touche avec ses doigts. Je goûte avec sa langue. Je vibre avec son cœur. J'ai éprouvé plus d'angoisse dans l'attente de ses résultats du baccalauréat que pour les miens. J'ai harcelé l'examinateur d'auto-école qui lui refusait le permis. J'ai applaudi à ses moindres efforts de perfection. Il est vrai qu'il me tient à l'écart de sa vie sentimentale. Je compte sur les doigts d'une main le nom de ses amis supposés. J'ignore tout de ses amourettes. Je ne condamne pas son goût du secret mais son sectarisme. J'envisage parfois l'existence sans lui : me retrouver seul avec mes contradictions voire face à une gentille petite femme. J'errerais à l'abri des combats à mener. Je ne serais ni heureux ni malheureux. Je travaillerais consciencieusement, courrais après les chats également. J'attendrais que les jeux se terminent pour atteindre enfin les lieux du néant éternel. Sur quel critère estimer l'intérêt d'une telle vie ? Rien ne mérite d'être vécu sans le trésor d'un frère.

A mots couverts

Je nous revois tous deux,
Jeunes et insouciants :
Toi - l'Autre - stupéfiant,
Moi sinistre, amoureux.

Durant le repas, l'ombre de Marie et les absences de Julien et de Cécile avaient fait peser une chape de plomb sur le comité restreint. Chacun avait simulé la faim par crainte des pensées moins avouables. Silice avait épié Angèle, sa douleur, sa résignation, l'ondulation sanguine de ses veines. Il la rejoignit dans le Salon Pourpre où, légèrement inclinée sur le guéridon en bois de merisier, elle déversait sa détresse. Elle se réfugia avec soulagement contre son torse étroit tandis que l'horloge égrenait le chapelet inoxydable des secondes. Elle redressa son long cou dans une tentative de sourire. Il la dirigea avec son aisance naturelle jusqu'au canapé. "Tu dois pardonner à mon égoïsme." Les yeux noisette d'Angèle s'éclairèrent d'une lueur d'inquiétude. "Je ne veux pas que tu me méprises." Elle se blottit contre l'épaule de Silice dont la voix trembla un peu. "Tu viendras cette nuit dans la Chambre aux Masques ?" Il hésita encore. "A minuit, nous serons tranquilles." Elle exerça une légère pression sur son poignet en signe d'assentiment. L'intrusion de bribes de conversation en provenance du Hall la fit sursauter : Marie morte... la pleine lune... L'angoisse ruissela sur le front de Silice. "Ce n'est pas un sujet d'amusement." Les prunelles rouges déshabillaient amoureusement Angèle et le sang s'écoulait à la commissure des lèvres déformées par le rictus carnassier. La jeune femme chassa, dans un hurlement, la vision de l'hybride d'humain et de sanglier. (.../...)