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Préface
Table des Matières

 
 

 

Bulle de savon

 

Instinctive comme l'enfant, ni Muse, ni Gorgone. Mon épouse devant Dieu et les Huîtres. Une femme somptueuse de sottise qui niait l'intelligence comme attribut de son sexe. Une facette de la Femme ? non... un parasite. Pourquoi fallait-il que Julien liât sa destinée à la sienne ? Dans son désert artistique, elle ne différenciait pas Fellini de Pasolini. Malgré son peu d'instruction, elle formait avec Julien le couple décoratif des réceptions mondaines. Malgré ses facilités financières, elle échoua même à construire un nid douillet. Je l'adorais comme un gosse. Je la coinçai dans mon lit. J'y perdis mon ami. Je la perdis elle ! Mauvaise comédienne, elle me jalousa l'attention de son mari sans anticiper le danger le moment venu. Nous admirions sa robe incandescente. Comment oublier la défiance du regard lancé à son père ? Elle était la première, la seule, à franchir le seuil de l'église. Consacrée par la magie liturgique, Marie incarnait la pureté absolue...
 
Marie sortit de sa tanière au milieu de l'après-midi. Ses globes oculaires n'avaient plus qu'une liqueur amère à verser. Soucieuse d'éteindre le tumulte à ses oreilles, elle s'assura de ne croiser personne. Ployant sous le poids du sac de voyage, elle prit son souffle sur le perron. Elle avait hissé les bagages dans le coffre de sa voiture et s'apprêtait à lancer le moteur quand Angèle s'accrocha à la poignée de la portière. Marie se contraignit à baisser la vitre. "Qu'est-ce que tu veux ?
- Où vas-tu ?"
Marie chassa la main qui pénétrait dans l'habitacle. "N'étais-tu pas mon amie ? ma seule confidente ?" Angèle s'affola. "Pardonne-moi, Marie... J'ai eu tort de faire confiance à Cécile." Marie éclata d'un rire nerveux. "Je ne suis donc pas seule à penser à mon cul, Angèle ?" Elle tourna la clef de contact. "Tu as raison d'ailleurs. Les hommes ne pensent qu'avec leur queue." La voiture s'éloigna sur le chemin de terre et disparut derrière les premiers arbres. Cécile avait assisté à la scène du perron. Angèle pivota sur elle-même comme attirée par le flux de son regard. Le bruit du choc écourta la confrontation. Julien apparut bientôt derrière Cécile et se hâta sur le sentier. A bout de souffle, il atteignit le lieu où la voiture, à demi montée sur un chêne massif qui bordait la route, brûlait tel un brasier. Il se figea à respirer la fumée noire. Cécile qui avait semé ses lunettes dans la précipitation pressa son avant-bras. "J'appelle les secours." Il la repoussa d'une tape dans la poitrine. "Que veux-tu sauver encore ?" Il se cacha le visage dans les mains. Cécile reprit la direction du Manoir sans distinguer Balkis qui courait à sa rencontre.

Le chat botté

 

Jeanne, de deux ans l'aînée de Cécile, lui chantait parfois la Comptine du Sagittaire avec la gaieté d'un rossignol. Une voiture la tua sur le coup devant leur maison alors qu'elle tentait d'attraper leur chat persan. Cécile venait de fêter son sixième anniversaire.
Près de sept années plus tard, le félin ne sortait plus guère de la résidence et avait cessé de défier les pies mauvaises de sa mâchoire ricanante. Cécile jouait de ses réflexes vieillissants et lui parlait souvent, de sa soeur surtout dont elle gardait un souvenir émerveillé. Quand il bâillait, l'adolescente l'emmenait, moustaches grisonnantes par-ci longue queue par-là, pour une balade dans le jardin où les rayons du soleil enflammaient le feuillage des noisetiers. La mère de Cécile s'inquiétait de ne jamais la voir avec des camarades de son âge et exécrait de plus belle le chat, cause de ses insomnies. Elle se décida à l'expulser du logis et donna une gifle à sa fille pour l'avoir fait entrer par la fenêtre de sa chambre. Cécile sanglotait dès qu'elle l'entendait gratter à la porte ou miauler à la lune. Le vieux matou perdit de sa superbe mais non le regard profond dans lequel rôdait l'esprit de Jeanne.
Quand l'animal décharné disparut, nul n'aurait pu augurer de sa bonne fortune. Cécile attendit fébrilement son retour puis accepta qu'il s'en fût allé tout seul. Elle ne le caresserait plus derrière les oreilles et en tint sa mère pour unique responsable. (.../...)