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Préface
Table des Matières

 
 

 

Fragment bréviaire

 

Une seule fois dans ma vie d'étudiant, j'envisageai d'en finir mais, au moment crucial, la motivation s'évanouit comme le reflet étranger qui me scrutait du fond du miroir de la chambre. La lame de rasoir glissa de mes doigts pour se ficher entre mes pieds nus et je la contemplai avec envie : avoir la langue acérée, le cœur dur, le geste prompt, tout ce à quoi mon être aspirait ardemment ! Maintenant que l'asile offert par Tristan m'apportait la stabilité, ne fallait-il pas travailler à l'épanouissement d'une âme aussi prometteuse ? Je m'étais trompé de cible en voulant autrefois me couper le souffle. Les doutes ne devaient plus fausser mon jugement. Rompre avec mes parents... Guylaine que je vénérais comme une icône... rien n'avait calmé le feu secret qui calcinait mes yeux, mes ongles, mes tripes. La frustration se mua naturellement en l'observation d'un rituel auquel l'expérience partagée avec Guylaine servit de canevas. Je traquais la nouveauté, séduisais les proies avec un abandon mesuré puis les tuais. Avec sagesse, je me laissais parfois séduire. Fascination et cruauté se mêlaient obscurément. Aucune perversion sexuelle ne me guida durant ces années de vampirisme à outrance. La chair se dressait si souvent comme obstacle à l'intelligence que l'assimilation du meurtre à une telle pulsion m'ulcérait ! Mon organisme n'était pas un transformateur profitable des énergies terrestres. Manger assez pour se tenir droit, boire de l'alcool pour échapper aux pesanteurs, fumer des herbes pour se dissoudre... et baiser... J'essayais à force d'espacer les prouesses avec Tristan car le sexe en lui-même me dégoûtait. Tout rapport sexuel ne résultait que d'un marché traité contre intérêt ou par force. La masturbation suffisait à me procurer les quelques secondes de félicité. Je frayais mon chemin entre mille vies et les multiples facettes se questionnaient en vain dans les miroirs. Thomas, Michèle, Lucien et Médée... étranglés comme Guylaine... Mylène, Isabelle, Martin et Circé... empoisonnés... J'affectionnais l'homicide par immersion : les candidats endormis par mes soins s'envolaient briller sous des cieux plus cléments, le gosier rempli d'eau et la tête dans un seau. Ainsi achevèrent leur piteuse existence Amélie, Chantal, Stéphanie et Morgane. Ainsi ruminèrent-ils le désir qu'ils avaient conçu de moi... Quel labeur pénible que de se débarrasser des corps ! De nuit, j'empruntais l'escalier de service de mon immeuble. Ma voiture se faufilait dans les rues à peu près désertes. Sûr que, depuis la Saint Barthélémy, on n'avait vu autant de cadavres voguer sur les eaux troubles du fleuve ! Je ne cherchais pas à connaître les feux de la rampe, ni les soupçons, ni les interrogatoires, ni les arrestations. Si Tristan avait imaginé qu'il couchait avec un tombeur de têtes folles ! Sans doute aurait-il rempli lui-même le seau avant de me le tendre.

Les Voies du Seigneur

M'eusses-tu rendu la vie, je ne te devrais rien dès que tu n'as travaillé que pour toi. Le Marquis de Sade.

En 1783, après avoir été longtemps tenu à l'écart du monde par son frère aîné, Hercule Le Beaussaint put subordonner sa maturité intellectuelle au développement de Morgueil. Pénétré des philosophies anthropocentriques, il usa de prodigalité pour d'autres motifs que la charité. Il fit venir au village un maître dédié à l'éducation de la jeunesse. Il pressa le curé d'assurer son ministère sans le chantage des rétributions et finança la restauration des vitraux de la vieille église paroissiale. Aussi convaincu en la foi catholique que son frère, il était persuadé que Dieu n'interdisait pas à ses créatures d'être heureuses. Le virtuose du clavecin rejetait l'hypocrisie des perruques et montait cul nu à cheval quand il parcourait son parc immense. Les femmes de toute condition se pâmaient pour son corps sculpté par les travaux agricoles. Depuis que son confesseur l'avait initié, il était le franc adepte de transports insolites. Il y soumit le laboureur qui sollicitait l'avancement de la date du fauchage des foins, la fille de ferme attachée au service de sa maison ainsi que les hôtes de passage consentants. Les paysans ne condamnaient pas les agissements d'Hercule qui ne monnayait pas ses faveurs puisque rien ne le contraignait au respect de la parole donnée. (.../...)