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Préface
Table des Matières

 
 

 

Bouche amère

C'est moi qui t'ai coupé les veines,
Moi qui t'ai étranglé, je sais.
C'est moi qui t'ai volé l'haleine,
Moi qui t'ai abîmé, c'est vrai.

Angèle laissa tomber la tasse sur le carrelage et sanglota comme un bébé quand le café se répandit autour des bris disséminés. Balkis l'attira doucement contre sa poitrine. "Oui, c’est ça, laisse-toi aller.
- C'est moi qui l'ai tuée !"
Balkis ramassa la porcelaine puis invita Angèle à s'asseoir à la table de la cuisine. Elle-même avança une chaise. "Tu n'as rien à te reprocher. Tu connais mieux que moi la situation." Angèle frissonna. "Je l'ai trahie." Balkis l'interrompit sans manière. "Elle a choisi." Angèle écarquilla de grands yeux terrifiés. Gorbuth entra se remplir une tasse de café avant de se tourner vers Balkis. "Julien n'a pas dit quand il rentrerait ? On aurait peut-être dû l'accompagner ?
- Il a renvoyé chez elles la cuisinière et la femme de chambre. Je ne serais pas surprise qu'il nous demande bientôt de partir."
Gorbuth s'appuya sur l'évier. "Les gendarmes me font froid dans le dos." Il courba le front avec une certaine humilité. "Je ne dirais pas que je prisais la compagnie de Marie mais ce qui lui est arrivé est atroce." Balkis lui intima le silence de son regard charbonneux. Il serra frileusement la tasse fumante et sortit de la cuisine. Angèle essuya son visage dans une serviette à carreaux. "J'étais allée voir Cécile pour lui dire ma façon de penser. Marie n'en saura jamais rien." Balkis caressa les cheveux prune et miel. "Tais-toi. Je suis sure qu'elle le sait déjà."

Sous clef

Je panse mes plaies,
Ô peine infinie,
Mon cœur est givré,
Mon âme salie.

Pique, pique, pique... Immobile dans la pénombre du cabinet de travail, Cécile se savait ridicule à attendre l'appel improbable de Julien. Si elle se rassurait de l'effort de concentration, sa conscience ne bridait pas les échappées mentales. Elle avait eu raison de déchirer le voile sur la duplicité de Marie même si Angèle ne valorisait pas son sens de l'honneur et croyait naïvement qu'il lui appartenait de juger l'irrationnel. Elle ne revendiquait aucune responsabilité dans le dénouement tragique de la journée. Une éternité s'était écoulée depuis l'accident de Marie... à peine deux millièmes de seconde depuis la dispute avec Angèle dans la Bibliothèque. Si Cécile concevait le déchirement d'Angèle à endosser un rôle aussi déterminant, elle avait commis l'erreur d'évacuer trop vite la possibilité qu'elle estimât Marie autant qu'elle-même respectait Julien.
Elle ne participait pas au repas froid tenu dans la Salle Ronde par crainte de surprendre le reflet de sa vieillesse dans le cœur d'Angèle. Elle constata avec un sentiment accru de nervosité que la pleine lune trouait le ciel. Elle caressa machinalement le pistolet de Julien dont elle avait subtilisé le trousseau quelques instants avant de l'éveiller à l'absurdité du monde et murmura la comptine qui avait bercé son enfance. Sagittaire, ronce d'eau, sagittaire, pique d'eau, sagittaire, flèche d'eau. Pique, pique, pique. (.../...)