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Préface
Table des Matières

 
 

 

Etuve naturelle

Je voudrais me façonner sous des mains expertes,
Saoules de caresses (l'union d'un cœur inerte).

Ce n'étaient plus les larmoiements du plancher que Sanctis avait entendus mais un gémissement. Il se posta aux aguets dans la salle de bains pastel en même temps que le pépiement d'un merle fusait du parc.
Il s'allongea rasséréné sur son lit et sursauta dès qu'il commença à lire. La plainte qui avait troublé le chant des oiseaux n'avait vraiment rien d'un rêve. Il hésita à revenir sur ses pas. Dans la pièce au visage familier, il fit couler de l'eau chaude dans la baignoire. Son attention volatile s'agrégea autour des échos dans la tuyauterie. Il ôta son pyjama en coton puis se planta au-devant de la fenêtre grand ouverte de la chambre. Son sexe se dressa au-delà de ses désirs. Plié en deux, il courut s'enfermer dans la salle de bains. Les joues encore rouges d'excitation, il se dirigea, en se comprimant la verge, vers la baignoire. Il empoigna le rebord avant de reculer horrifié. La large cuve de marbre se remplissait du sang dont les robinets versaient un flot continu. La fascination l'emporta sur ses craintes. Il stoppa les vomissures hémorragiques et resta en extase. La fatigue et l'angoisse se hissèrent sur les ailes des merles moqueurs. Il trempa un doigt dans le liquide poisseux et le porta à ses lèvres.
Sanctis présenta au miroir une face purifiée par les ablutions. Son teint n'avait jamais été aussi lumineux. Sa peau n'avait jamais respiré avec autant de plaisir. Il contempla avec curiosité le reflet étranger de l'adolescent qui lui dit : Mon frère est comme le tien qui ressemble au mien. Il lui adressa ensuite un signe amical de la main que Sanctis lui retourna sans plus d'invention qu'une marionnette.
Alors que dans la baignoire luisante dévalaient les trombes d'eau, Sanctis s'effraya devant le miroir où s'arrondissaient ses boucles sèches.

L'élixir de vie

 

Elle repoussa le drap en riant à pleines dents et ramassa ses vêtements. Elle boutonna sa jupe. "Où est ma ceinture ?" Massacra saisit son poignet. "Ne me laisse pas comme ça." Elle blêmit de rage contenue. "Ne te fais pas d'illusions !" Massacra s'allongea sur le dos et fixa le plafond. Le claquement des souliers sur le parquet puis celui de la porte le ramenèrent à la réalité.
Massacra avait fui la province pour assister au cours d'un professeur renommé de la Sorbonne qui devait le conforter dans son choix de carrière. Lui aussi, suspendu à la chaire, méduserait de jeunes disciples par sa brillance oratoire. Quand les études de lettres lui laissaient du temps libre, il s'abreuvait des liqueurs naturelles de la capitale. Aucun fumet savoureux ne résistait à sa fringale culturelle. Toujours informé des combines d'entrée aux spectacles en vogue, il avait développé le réseau de ses connaissances et portait, à leurs yeux, les atours discrets et inoffensifs de l'homme cultivé, dénué de désir pour les représentants de l'autre sexe. Même irremplaçable, il prétendait assurément au rôle d'unique impuissant de sa bande d'étudiants. S'il envisagea d'en accabler sa mère, ses sentiments le trahirent en redoublant d'intensité pour la seule femme qui le pressait contre son sein. Elle avait discerné, dès la petite enfance, les germes de sa réussite future : c'était un ange qu'elle avait engendré dans la douleur. Il s'accommoda peu à peu de la cordelette nouée à son corset, convaincu de ne percevoir à travers les couples enlacés sur les quais de Seine que l'expression d'une attirance vulgaire. Il évita la compagnie féminine qui ne résultait pas d'une collaboration intellectuelle. (.../...)