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Préface
Table des Matières

 
 

 

Mauvaise herbe

La rage démente rayait les yeux verts d'une lueur mauvaise.

J'aime Julien... à ma façon. C'est le seul type, en dehors de mon père, avec qui j'accepte de parler quand je suis bourré. Il a été présent... très souvent. Il est mon ami... un repère dans ma vie. Des moments de joie n'ont tenu qu'à lui. Il m'a fait mal aussi... sans malice. Je ne prends pas en compte son mariage, la préférence initiale de Marie restant un mystère. La vraie blessure s'ouvrit l'après-midi, nous étions gamins encore, où il m'invita pour la première fois au Manoir. Je n'en croyais pas mes yeux : tant de richesses distribuées avec quelle inégale générosité ! J'avais beau me dire que mes parents m'aimaient, la pilule ne passait pas... Je haïs la famille de Julien pour ça, leur éducation de privilégiés, le père coincé dans un fatras de contradictions... Julien n'avait pas même conscience de sa chance ou, du moins, y travaillait-il... Tout lui appartenait avant de foutre les pieds dans son école de cathos. Pourtant... pourtant, Julien n'était pas petit-bourgeois... pas méprisant, pas condescendant... Il ne chercha pas à m'éblouir par l'étalage de son fric. Au contraire... il aurait voulu rayer nos origines sociales. D'un trait ! Je suis heureux qu'il l'ait tenté mais pour m'avoir révélé si tôt l'injustice humaine... pour m'avoir froidement affranchi sur le ridicule de mes parents communistes, je ne regrette pas d'avoir tiré de son pieu Marie la bandante. Bien sûr, nos relations ont évolué et la complicité enfantine a vécu. Après tout, même hors du commun, il n'a pas échappé aux cornes du cocu. C'est vrai que j'ai niqué sa femme et que ma lâcheté est pitoyable mais je ne suis pas insensible. Ma morale, je l'ai construite sur des ruines. Le malheur, mon vrai malheur, c'est que ce sont mes tripes qui aiment Julien.

Porte-malheur

Je suis vanné, fané,
Fardé du cœur au cuir tanné.
Je suis fendu, vendu,
Venu briser le bras tendu.

Depuis que la douceur d'Angèle et son émouvante sensibilité avaient enflammé la peau de Cécile, elle s'était appliquée à mieux lui révéler l'essence de la liberté : celle qui mouvait les corps et les éveillait chaque nuit davantage au monde. Les étoiles n'avaient pas obscurci son jugement : elle jouissait de l'apanage dû à sa primauté dans un cœur vierge mais elle entrevoyait tout de même la possibilité de mettre fin à sa quête de stabilité, elle en avait atteint l'âge canonique. Elle fustigeait le célibat dont s'accommodait Massacra et craignait de vieillir en reine sans miel des campus universitaires.
Si la pureté d'âme d'Angèle avait jailli comme l'eau de roche et si un enthousiasme inespéré avait transpiré dans la moindre de ses inflexions, les confessions avaient aussi surgi brutales de la fusion nocturne des deux femmes. Le caractère entier de Cécile réprouvait le renoncement des responsabilités. Elle assumait lucidement sa contribution à venir au deuil de Julien dont la simple amitié justifiait la prise de risques. Elle ajusta la monture de ses lunettes et entra sans frapper dans la Chambre aux Masques. A cette heure matinale, Julien dormait encore sous les dais chargés d'histoire. (.../...)