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Préface
Table des Matières

 
 

 

Boîte à malices

Par les nuages, tu t'envoles
Pour esquiver ta destinée
Et recoller ton auréole.
Par les nuages, ta bonté.

Fourbu par le rythme de la chevauchée, Silice se délassait sous l'eau tiède de la douche. Julien avait poussé l'exercice jusqu'à l'épuisement pour atténuer le déchirement à s'arracher de la monture.
Silice sortit nu de la salle de bains et saisit, dans le tiroir de la table de nuit, une boîte en plastique ovale puis des feuilles à rouler et un briquet zébré de taille réduite. Il les déposa sur le bureau à côté des lunettes de soleil et commença les pliages. Son séjour au Manoir ne souffrait aucune comparaison tant le plaisir se renforçait de sa victoire quotidienne sur le sommeil. Lâchant pâte cannabique et briquet pour se gratter les testicules, il s'avisa du manque de musique. Il hésita deux bonnes minutes entre Bob Marley et Noir Désir avant d'opter pour un vieil enregistrement de techno. Il reprit ses activités alchimiques sur the First Rebirth. L'amenuisement de ses ressources commençait à l'inquiéter. Il n'imaginait pas sans haussement de sourcil que l'un de ses camarades pût le dépanner... mise à part Angèle, peut-être, qui restait admirablement sur sa réserve. A ne dire que le vrai, il fumait trop. Peu concentré, il changea de feuilles deux fois. L'heure affichée sur le cadran du réveil le rassura sur le délai autorisé jusqu'au dîner. Il n'avait pas faim. Son corps n'avait plus grande exigence d'ailleurs : ni repos, ni nourriture, ni sexe, la masturbation suffisait amplement. Plus troublante s'affirmait l'incapacité nouvelle à écrire. Plus une ligne de poésie, de la prose, rien qu'une misérable prose. En d'autres temps, en d'autres horizons, Silice en aurait conçu de la culpabilité mais les dommages infligés au Méchant Galoup l'absolvaient. Il alluma le joint sur Jesus Trip, le morceau qu'il préférait sur la cassette. Ses ongles martelèrent les pulsations cardiaques du Christ en proie aux affres de la Passion. Paupières closes, il étendit ses membres endoloris sur la croix.
A peine le joint s'écrasait-il dans le cendrier que la fatigue se dissipa. Silice ouvrit de grands yeux bleus. L'heure de la Cène approchait à pas de loup. Il faudrait aérer la chambre avant de descendre. Il faudrait ne pas oublier de s'habiller.

Fragment tord-boyaux

 

Le tronc cisaillé du cerisier, porte-étendard de la misère du monde... Tristan cultivait décidément le goût des symboles ridicules. Campé sur des jambes de coton, il m'observait timidement, mendiant la marque d'attention que je lui refusais. L'odieuse idée que d'espérer l'encouragement d'une inflexion de voix ou d'un hochement de tête ! Croyait-il que je maudirais, à sa manière grotesque, les vauriens qui se pendaient sans autorisation aux branches des arbres et les brisaient ? Je m'avisais tout juste de l'existence du cerisier, frêle et sans caractère, qui avait été témoin de sa jeunesse alors que je sacrifiais à Tristan la plupart de mes week-ends depuis sept années. J'aurais mis la main à brûler, si elle n'avait pas tourné les pages de mon livre, que les branches n'avaient jamais porté de baies rouges et sucrées. Les jeunes salopards méritaient une récompense, des bonbons, une bouteille d'alcool pour avoir arraché à Tristan des gémissements autres que ceux de la fornication. Le sinistre me dévisageait en silence, plus anxieux que de coutume, si transparent que je déchiffrais ses pensées inquiètes. Pourquoi tant d'injustice ? Son entendement échouait à discerner l'origine de la guerre muette. J'aurais fendu le nerf optique de ses yeux qui suintaient la honte d'être ! Je m'accrochais à la lecture avec l'obstination naturelle de ceux qui savaient mépriser. Si l'ouvrage m'importait peu, sentir contre moi la douleur informulée décuplait mon ivresse. Les joues colorées se videraient du sang que j'aurais bu jusqu'à la lie pour alimenter ma haine. Lui, en doux con, m'aurait couvert de baisers. Enfilant mes lunettes de soleil, je me projetai à une vingtaine de mètres de la chaise longue. Sectionné à la base, le cerisier, penché et dérisoire, tomberait au premier crachat du vent. Le frissonnement de son feuillage, roux au soleil, me troubla plus que je ne l'aurais avoué. Avait-il achevé son agonie ? Devant moi se jouait une scène grandiose : le Grand Frère infécond hurlait sa plainte au ciel tandis que le prêtre aux petits pieds, Tristan pour ne pas le nommer, se prosternait, face contre terre, pour solliciter le concours de la Déesse Mère. Grand Dieu ! C'était moi, son Grand Frère ! (.../...)