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Préface
Table des Matières

 
 

 

Chambre d'emprunt

Le miroir s'est brisé,
Et, sur l'écueil, j'ai versé le sang.
Le fossé s'est creusé
Et, tout au fond, j'ai jeté mon camp.

Les siècles avaient préservé la virginité insolente de la Chambre aux Masques qui débouchait sur le pallier supérieur du Grand Escalier. Angèle en appréciait les parois blanches, aveuglantes sous le soleil de midi et surtout la coiffeuse ouvragée et son miroir elliptique. Il lui arrivait souvent de s'oublier devant son reflet, non par narcissisme mais par paresse. Elle sursauta à l'apparition de la silhouette de Julien derrière la sienne. Déçu malgré lui qu'elle se constituât prisonnière de son apparence, il ne fournit pas moins une excuse. "Je ne voulais pas te faire peur." Trapu mais élégant dans sa tenue d'équitation, il esquissa un mouvement de départ. Elle protesta vivement : "Reste, j'allais sortir." Il revenait à Julien d'éviter que la situation devînt burlesque. "Tu viens souvent, je veux dire, dans cette chambre ?
- Je m'y sens bien. Quelle est l'origine de son nom ?"
Le tour de conversation rassura Julien. Il plia soigneusement les habits de rechange qu'il serrait contre lui avant de s’asseoir sur le rebord du lit à dais. "Rien n'est moins sûr. Le seigneur de Morgueil aurait accroché ses trophées sur les murs, des têtes de sangliers qui ressemblaient à des masques." Angèle se contracta sous l'offense. "Ce n'est pas la seule explication. On dit aussi que les filles aînées des premiers chevaliers passaient ici la nuit qui précédait leur mariage. Les mines défaites au réveil sont les masques en question." Angèle se leva de son siège en riant, bien décidée à céder la préséance à Julien. Il trahit par l'inflexion tendre de sa voix la raison qui l'amenait à délaisser la Chambre Dorée. "Ma mère aimait à s'y reposer pour lire." Angèle rabattit la porte derrière elle, non sans lui avoir décoché un sourire charmant.

La princesse sur un pois

 

Depuis le lycée, Mutin convoitait Marie. Elle lui avait préféré Julien... par souci de sécurité puisque le confort matériel sonnait le glas des errances... par tendresse certainement car elle recevait pour époux un homme solide et attentionné... du fait de sa méfiance naturelle à l'encontre de Mutin. Dans les yeux saumâtres qui préméditaient sa déchéance, Marie lisait l'affliction d'avoir été évincé. Elle renonça à la confrontation par peur de se heurter à l'amitié fraternelle des deux camarades d'enfance mais se défendit d'encourager la déraison. Pour garder la vie sauve, elle décida de ne rencontrer Mutin qu'en présence de son mari.
Une lumineuse matinée de printemps mit un terme à ces huit années de respect des nœuds matrimoniaux. La Chambre Dorée accueillit les épousailles de Marie et Mutin pendant que Julien battait de sa cravache les sentiers qui serpentaient entre les bosquets du parc. La nature épicurienne de Marie, inaccessible au sentiment de culpabilité mais non à la douceur des blondes moustaches, l'avait emporté sur les ultimes sursauts de sagesse. Le divertissement de l'adultère colmatait les fissures de son cœur sans amoindrir son affection pour Julien. Elle convia l'hôte indésirable à passer plus souvent par le Manoir. Elle répéta l'imprudence d'abandonner Julien au milieu de la nuit pour se glisser sous les draps de soie de la Chambre Rouge. Elle manqua de se trahir quand, couchée près de Julien, sa peau rosit au froid contact de la médaille de baptême de Mutin. L'agile contorsionniste l'engloutit dans le creux de la main au moment où Julien, alerté par son cri, se tournait pour la questionner.
Mutin enferma la chaîne en or dans un tiroir de sa table de chevet et les amants codifièrent les tête-à-tête à venir : ils ne feraient plus l'amour ni la nuit ni dans le lit conjugal du cocu. (.../...)