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Préface
Table des Matières

 
 

 

Femme de lettres

Toi mon cœur-arbalète :
Objet de mon désir,
Ombre fatale et sbire
De société secrète !

Cécile s'appuya sur la rampe du Grand Escalier pour écouter le sermon du professeur. "Notre pays n'a pas donné naissance aux Hauts de Hurlevent parce qu'aucune femme, simplement française, n'aurait pu porter une charge aussi lourde.
- Vous reprochez aux Françaises du siècle dernier de ne pas avoir écrit des romans d'homme.
- Non, vous déformez mon propos. Je suis convaincu que la place de la femme dans notre société est encore telle qu'elle cherche davantage à singer l'homme qu'à exploiter sa sensibilité originelle.
- Vous avez prétendu que George Sand n'a publié que des livres mièvres, des livres de femme selon vous...
- Je vous soupçonne de simuler l'incompréhension, Cécile. Vous direz bientôt qu'il n'y a ni livre d'homme ni livre de femme mais que de bons ou mauvais livres. Vous niez que George Sand ait convoité la notoriété en tant qu'homme et que ses sornettes soient tout juste bonnes à torcher le derrière d'un lecteur de Germinal."
Cécile essuya ses lunettes avec brusquerie. "Vous feriez un macho des plus détestables ! Reconnaissez que Duras et Yourcenar témoignent d'une poésie étrangère aux Français et autres mâles."
Leur soif de paroles les menait comme toujours à l'impasse. Ils entrèrent les premiers dans la Salle Ronde où Ether achevait de disposer les couverts sur la table massive en noyer. Cécile se dirigea vers la fenêtre grand ouverte sur le bosquet de bouleaux et reprit à haute voix le cheminement de sa pensée. "Le Deuxième Sexe représente une avancée considérable pour la société.
- La renommée de Sartre a propulsé sa compagne en pleine lumière."
Cécile certifia à Massacra qu'il représentait dignement les primates actuels. Il lui tira une langue longue comme un jour sans lecture. Mutin qui les avait rejoints en fin de conversation s'empressa de l'imiter.

Le lièvre et le hérisson

 

A la pointe du jour, elle était venue comme la Reine de Saba déposer ses offrandes aux pieds du Roi Salomon. Gorbuth les avait acceptées sans que Balkis n'eût à le regretter puisqu'il lui avait donné du plaisir en retour.
Méfiants à l'égard des Huîtres, ils limitèrent le périmètre de leur intimité à la chambrette de Gorbuth. La frénésie sexuelle de Balkis intimidait le jeune homme qui redoutait de la perdre pour un gaillard plus vaillant. Si Sanctis n'entendit jamais parler d'elle, Balkis en revanche saturait d'anecdotes aux variations infinies sur son compte. Elle avait beau hasarder d'autres sujets, le petit frère de Gorbuth revenait sans cesse au cœur des conversations si bien que les uniques échanges du couple se réduisaient à des étreintes. Au bout de longs, très longs mois, Balkis prit conscience de l'effritement de son amour. Recluse comme pestiférée, malhonnête avec ses amis, elle désespérait en la fin de l'épreuve.
Un soir où la pluie mouillait les trottoirs de l'université, elle courut s'abriter sous les ogives d'une église. Bien que tenue éloignée des fonts baptismaux, elle se grisa de son propre souffle dans le sanctuaire à la blanche sobriété. Ignorant si le divin l'avait marquée de son sceau mais neuve en reprenant possession de la rue, elle marcha droit au logement de Gorbuth et poussa doucement la porte de sa chambre. L'étudiant qui relisait ses cours de physique nucléaire s'étonna qu'elle ne s'allongeât pas sur leur étroit matelas. Comme il la fixait sans comprendre, elle avança et déposa une clef rouillée sur la planche qui servait de bureau. "Je te la rends.
- Bien merci. C'est un geste simple, pas vrai ?
- On finira par se jeter des pierres."
Elle était impatiente de quitter le royaume de Gorbuth. Le faciès déformé par un rictus tragique, il la saisit à l'avant-bras. "Attends, tu peux bien attendre encore un peu, non ? Où comptes-tu aller ?
- Je rentre chez moi, Gorbuth. Lâche-moi.
- C'est trop facile. Tu te fais sauter pendant trois mois et tu me laisses !
- Lâche-moi. Je ne supporte plus l'obscurité de cette chambre.
- Tu as rencontré un autre mâle ? Gorbuth n'est plus assez bon pour toi ?"
Il n'avait rien d'un avorton. Ecarlate de colère, il la secoua avec la brutalité réservée au prunier de son enfance. Il se brisa en deux quand elle lui envoya son genou dans les testicules. Elle se rua dans l'escalier en colimaçons tandis que, plié sur ses parties génitales, Gorbuth avalait la douleur pour tempêter : Oie stupide ! Sale pute ! Il t'en cuira ! (.../...)