En 199., Julien Acquit n'était pas le chevalier du Manoir des Sangliers mais son propriétaire. Sa mère avait été vaincue par le cancer et son père souffrait de la maladie d'Alzheimer. La solitude le tenaillait depuis qu'un certain séjour au château avait précipité la disparition tragique de son épouse et l'implosion de son cercle d'amis. Privé d'héritier, il dut se résoudre à dresser le bilan d'une existence qu'il croyait solidement agencée peu de temps auparavant. Mortes, Marie l'enfant femme et Angèle la femme enfant. Morts aussi, Gorbuth le frère empêché, Mutin le sexe énergique, Massacra le sournois cultivé. Evaporés, Silice le poète de la fange et Sanctis le jouvenceau frustré. Enfuie, Balkis la nymphette domptée. Menottée, Cécile l'universitaire sectaire. Désœuvré, Julien le roc nanti. Au lendemain de l'épidémie de décès, Cécile était montée dans la fourgonnette de police après avoir jeté un dernier regard à Julien, droit et malheureux sur le perron du Manoir. Il avait bataillé en vain, dans le secret de son cabinet personnel, pour endosser l'assassinat de Mutin. Tandis que les quotidiens s'appropriaient l'hécatombe du Manoir, l'enquête judiciaire n'épargna ni familles ni domesticité. L'inhumation de Marie donna à Julien une illusion de délivrance. Cécile bénéficia des circonstances atténuantes pour le meurtre de Mutin qui avait, lui-même, violé puis étranglé Angèle. Gorbuth s'était tiré la balle dans la tempe après que Cécile se fut servi du pistolet de Julien. Massacra s'était pendu à sa ceinture. Les motivations ainsi que le rapport d'antériorité de tous ces gestes se couvraient d'ombre. Par ailleurs, Julien ignorait le sort de Silice et de Sanctis dont la police ne dépista jamais une trace. Avaient-ils tout abandonné par lâcheté ? par dégoût ? Il avait conseillé à Balkis de quitter le Manoir avant l'intrusion des forces publiques. Depuis, il avait reçu une lettre. Elle vivait dans le même appartement parisien et avait été entendue comme témoin.
Cécile sortirait de prison et viendrait s'asseoir près de Julien sous la verrière. Depuis longtemps, il aurait vendu le Manoir des Sangliers pour acquérir cette maisonnette du bord de mer. Peut-être Cécile parviendrait-elle à y noircir son carnet des récits obsédants du Manoir. Sans doute tous deux puiseraient-ils le silence dans l'océan. Alors s'éteindraient les échos angoissés qui murmuraient que tout était écrit.