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Préface
Table des Matières

 
 

 

L'Expansion des Acquit

La vie, ce n'est peut-être tout de même que le bonheur. Jean Anouilh.

En 1888, Antoine Acquit et son frère Jacques, codirecteurs de l'établissement financier qui détenait les créances de la famille Malévole, jetèrent leur dévolu sur le Manoir des Sangliers. Antoine consacra des heures fiévreuses à son Histoire des Le Beaussaint de 1537 à 1793 dont la critique passa sous silence la parution en 1907. Il brûla archives et témoignages en représailles, légua ses biens et l'un des invendus à son frère avant de se pendre.
Jacques perdit deux fils, l'un sur la Marne, l'autre dans les Dardanelles et s'embauma dans ses souvenirs avec sa femme de confession juive. Dernier-né injustement dédaigné, Julien aborda le second conflit mondial avec optimisme : tandis que de lointaines parentés s'éteignaient à Auschwitz, il intégrait la Résistance aux premiers signes de l'essoufflement allemand. A la Libération, son zèle pourchassa collaborateurs et femmes germanophiles. En 1945, il s'attela à la gestion de ses biens immobiliers et les accrut habilement à une époque consensuelle de rapines. Martial, l'aîné de ses deux fils, souffrait d'une malformation de la hanche qui l'avait désigné comme souffre-douleur de Jacques le puîné. Une après-midi de 1957, lors d'un exercice au tir réunissant les deux frères dans le parc, une balle perdue emporta avec elle la vie de Martial. La liturgie catholique scella son sort et celui de Jacques comme héritier unique de la maison Acquit. Il épousa une adepte des offices religieux qui croyait au péché révélé par la Bible. Elle enfanta contre son gré un garçon à qui Jacques confia le prénom de son père. Elle se donna les coudées franches en l'envoyant très tôt en pensionnat puis se consacra à la confession des vices de ses congénères au curé de Morgueil. Quand le cancer la tua en 1972, l'atmosphère délétère du Manoir se dissipa. Jacques prit en main l'éducation de Julien même si son âme avait été amputée de la mort de sa femme.

Par miracle

 

Depuis le lycée, nous formions, Julien, lui et moi, l'équipe gagnante des mauvais en lettres. Mon frère. Triste, triste mais vrai. Le frère unique que j'aimais à en ternir mon goût de l'honneur. Les balles échangées étaient pour le moins acharnées. Un partenaire de cirque dans l'arène de la vie : lui le Terrien, moi le Lunaire, consumés par le même feu dévastateur. Non pas un chien à qui j'allouerais le bénéfice du cœur ni le Bélier noble avec ses cornes élégantes mais un requin d'entreprise comme de sexe ! La brute avinée jugeait ma jeunesse incongrue. Je soupirais après ce baiseur impénitent. L'animal rôdait dans le moindre de ses gestes vulgaires. Mutin persista à m'avilir avec tant d'ostentation qu'il contribua avec succès à ma Rédemption...
 
Julien franchit le seuil avec la conviction que tous dormaient. Il n'aurait d'ailleurs supporté la présence d'un seul. Il se dirigea vers le Salon Pourpre dont la porte béante laissait échapper de la lumière. Jaromil surgit en poussant un miaulement tyrannique. Il trottina allègrement sur ses chaussons blancs avant de s'évanouir dans les ténèbres. A la vue de Gorbuth renversé sur la table basse, Julien agrippa la graisse de son ventre. Le sang séché délimitait la blessure nette sur le front. Julien arracha le pistolet aux doigts crispés et courut affolé dans le Hall. Il porta ses yeux vers la cime de l'escalier, s'aida de la rampe. Debout dans l'embrasure de la Chambre aux Masques, il reconnut le visage d'Angèle, lumineux dans le rayonnement lunaire. Elle lui sourit. Il aurait juré qu'elle lui avait souri. Il l'appela de l'extérieur mais en vain. Il vola à la Chambre Rouge dont il poussa du pied la porte entrebâillée. Le flux électrique du plafonnier dissipa l'obscurité comme un lever de rideau. Mutin étreignait sa valise pour un ultime voyage. Sa boîte crânienne avait déversé une substance gélatineuse sur le parquet. Pour putain, la prend le compagnon Mutin. Julien lâcha le pistolet quand les griffes lacérèrent son épaule. Ce n'était que la main de Cécile. Il n'avait pas le courage d'ouvrir la bouche ni d'accrocher son regard nu. "Je t'ai attendu. Tu m'as laissée seule avec ce salaud."
Cécile peinait à le suivre dans le couloir. La chambre de Silice était vide. Julien s'accroupit au chevet de Balkis et la réveilla. Il extirpa le crucifix de la poche intérieure de son veston. "Ils l'ont trouvé dans la carcasse de la voiture." Balkis ne put contenir son sourire en l’enserrant dans sa paume. Julien ajouta à l'attention de Cécile : "Ils y ont aussi trouvé la chaîne de baptême de Mutin." Il se redressa vivement. "Allons chercher les autres." (.../...)