Adieu la vie, adieu l'amour ...

 

Craonne est, dans l'Aisne, un chef lieu de canton de l'arrondissement de Laon (environ 70 habitants).
Altitude 183 m.
Latitude 49°26' Nord
Longitude 3°47' Est. 

Le 16 avril 1917 à 6 heures du matin les soldats de la VI° armée du général Mangin s'élancent à l'assaut des plateaux qui dominent Craonne à l'est du Chemin des Dames. Ils sont massacrés par les mitrailleuses allemandes qui surgissent des abris. En quelques heures l'offensive Nivelle tourne à la tragédie.

La bataille
Après la guerre de mouvement de 1914, le front s'est stabilisé et, jusqu'en 1917, les Allemands ont renforcé les défenses naturelles du Chemin des Dames. Pour accélérer d'éventuelles négociations, les Alliés demandent à Nivelle d'enfoncer le front allemand.
Le mauvais temps retarde le jour de l'offensive, le brouillard et les nuages gênent les observateurs (53 batteries sur 192 sont repérées). Le sol est détrempé, les soldats souffrent du froid. Cinq millions d'obus sont envoyés sur les Allemands mais ceux-ci sont solidement retranchés dans des "creutes" (abris souterrains). D'autre part, les tirs, répartis sur toute la profondeur des lignes pour favoriser l'avance escomptée, n'ont pas détruit les réseaux de barbelés des premières lignes. De plus, il semble que les Allemands, avertis, aient amené quelques divisions supplémentaires sur le Chemin des Dames. En dépit de l'utilisation de quelques chars d'assaut, l'offensive du 16 avril 1917 est un désastre. Les mitrailleuses surgissent des abris et massacrent les assaillants empêtrés dans les barbelés : "A six heures la bataille est commencée, à sept heures elle était perdue".
Nivelle qui s'était engagé à cesser les combats s'il n'obtenait pas de succès dans les 24 heures s'obstine jusqu'au 25 avril. Au prix de pertes humaines considérables Craonne et le plateau de Californie sont pris les 4 et 5 mai 1917. Pour les dix premiers jours de l'offensive on compte 30 000 morts, 54 000 blessés et 4 000 prisonniers du côté français.
Les soldats fatigués et découragés refusèrent de marcher au sacrifice inutile. On les appelle des "mutins".
Nivelle, limogé, fut remplacé par Pétain. Le Chemin des Dames pris par les Français en novembre 1917, fut perdu en mai 1918 dans l'offensive qui ramena les Allemands sur la Marne et rerepris en octobre 1918. Le rapport d'enquête fait en pleine guerre est sans complaisance "le général Nivelle est responsable du plan ... il revendique d'ailleurs entièrement cette responsabilité ... la part du hasard est si grande à la guerre qu'il paraît impossible d'affirmer que le plan n'était pas réalisable ... il faut reconnaître toutefois que le terrain était très difficile et qu'il attaquait un ennemi averti, retranché et disposant de nombreuses réserves".  Nivelle n'a jamais été jugé.
L'ensemble du terrain a été déclaré "zone rouge" par arrêté préfectoral en 1919. Jour après jour, pendant plus de 20 ans, le sol a été aplani, des tonnes de ferrailles et de munitions ont été extraites du sol, des centaines de cadavres ont été retrouvés. Seules quelques zones boisées comme "l'arboretum" qui recouvre le Vieux Craonne donnent encore une idée du bouleversement du sol après les combats.

La chanson
Quand au bout de huit jours le repos terminé
On va reprendre les tranchées
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c'est fini on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le coeur bien gros comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civelots
Même sans tambours, même sans trompette
On s'en va là-haut, en baissant la tête.

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la relève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu'un qui s'avance
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer,
Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leur tombes.

C'est malheureux de voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous, c'est pas la même chose
Au lieu de s'cacher tous ces embusqués
Feraient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens, car nous n'avons rien
Nous autres les pauvres purotins
Tous les camarades sont tendus-là.
Pour défend'les biens de ces messieurs là.

Adieu la vie, adieu l'amour
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne, sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau,
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés.

Ceux qu'ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c'est pour eux qu'on crève
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettr' en grève
Vont tous se mettr' en grève
Ce sera votre tour messieurs les gros
De monter sur l'plateau
Car si vous voulez la guerre
Payez-là de votre peau.

Notes
Le Chemin des Dames doit son nom au chemin qui surplombe la vallée de l'Aisne qu'Adelaïde et Victoire, filles de Louis XV, empruntaient pour rendre visite à leur gouvernante au château de La Bove près de Vauclair.
Sur ce chemin de crête, le 7 mars 1814, Napoléon engagea ses jeunes recrues, les Marie-Louises, contre les armées coalisées russes et prussiennes. Il fut déclaré vainqueur du massacre qui s'en suivit.