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Préface
Table des Matières

 
 

 

Les Dames de l'Auberge

Où sont nos amoureuses ? Elles sont au tombeau : elles sont plus heureuses, dans un séjour plus beau. Gérard de Nerval.

En 1812, accrédité de solides appuis financiers pour son ambitieux projet, Etienne Malévole achetait le Manoir des Sangliers à la commune de Morgueil. La Chambre aux Masques, ainsi que la Chambre aux Arcs, recouvra son lit à dais et sa précieuse marqueterie. Pour le confort des yeux, il instaura les couleurs rose, rouge, dorée, blanche et noire dans les pièces laissées à l'abandon. Les Chambres aux Nains et aux Cœurs, la Chambre Pavot furent richement décorées. Il dessina le parc avec génie et l'agrémenta d'un site de pierres dédié au repos et à la conversation : la Halte aux Dames. La renommée de l'Auberge des Sangliers dépassa très vite les confins de la région car l'engouement d'Etienne pour le luxe ne relevait pas du seul plaisir esthétique. En 1846, les prouesses d'alcôve affolèrent les commères de Morgueil. Dans la Chambre aux Cœurs, trois jours avaient suffi à un fringant aristocrate parisien pour épuiser cinq amazones aguerries.
En avril 1871, les prostituées se révoltèrent contre les conditions d'abattage et les privilèges régaliens de leur patron. Elles le séquestrèrent dans la cave après avoir chassé du Manoir leurs fervents abonnés. Déterminées dans leurs revendications, les jeunes femmes occupaient leurs journées en parties de cartes et beuveries. Peu d'entre elles réchappèrent au feu nourri que la garde nationale ouvrit sur le château. A sa libération, le tenancier avait le ventre aussi creux qu'une calebasse. Il recruta des sirènes plus dociles mais la clientèle déserta le lieu de perdition ruiné par la mauvaise publicité. A défaut de rembourser les emprunts, le petit-fils d'Etienne brada le local du bordel.

Sous la dictée

 

Nous partagions les mêmes valeurs de l'éducation et le respect des convenances. Combien de tournées offertes aux Huîtres désargentées ? Un partenaire de choix aux goûts raffinés. Sans entrain sexuel mais grand prince dans les bars ! Je côtoyais le pervers sans le voir. L'étreinte du vieil Eumolpe conférait aux instants l'apparence de l'éternité. Je louais son savoir-vivre, sa culture et sa sereine quiétude. Je l'effarouchais et son malaise aurait dû être risible. Les facettes de son esprit renvoyaient la lumière mais je rejetais ses arbitrages de mentor. Il méprisait mon inculture et rôdait en prédateur des âmes fragiles. Il ne voyait en moi qu'une chienne en chaleur prête à mordre. Il m'assommait de conseils maternels. Avec qui d'autre que Massacra aurais-je disputé l'illusion que Carson Mac Cullers, Jean Anouilh et Henri Georges Clouzot scintillaient toujours au firmament des Arts ?
 
Gorbuth rongeait le frein à s'en mordre la langue. Où était le petit frère ? La Chambre Rose était vide. Il descendit dans le Hall et parcourut les pièces où l'installation électrique diffusait de la clarté. Où était-il ? Il s'avança sur le perron mais revint très vite sur ses pas. Il remonta à l'étage, suspendit sa marche silencieuse devant la Chambre aux Masques avant de courir à la Chambre Dorée. La porte en était fermée à clef. Où donc était son frère ? Il erra dans le couloir. Il dépassa sa chambre, celle de Sanctis puis encore celles d'Angèle et de Balkis. Il s'immobilisa devant la Chambre aux Nains. De la rainure sous la porte filtrait la lumière. Gorbuth colla son oreille à la cloison mais ne fut pas renseigné sur l'activité nocturne du professeur. Il appuya timidement sur la poignée, sans succès. Il se lança alors de tout son poids et le verrou céda. Sanctis se jeta sur son pantalon mais Gorbuth s'interposa et le gifla. Le jeune homme s'enfuit de la chambre en étreignant ses affaires. Gorbuth attrapa Massacra par le cou pour le traîner jusqu'au bureau. Il résista faiblement, recroquevillé comme un animal traqué. "Que vas-tu faire, Gorbuth ?
- Ferme-la, salope et prends un stylo!"
Par-dessus l'épaule du professeur, Gorbuth supervisa la prise de notes. "Je soussigné Massacra L. reconnais les attouchements sur la personne de Sanctis D., âgé de vingt-et-un ans. Gorbuth D., frère aîné dudit Sanctis, m'a, en ce huitième jour du mois d'août, à une heure et demie du matin, surpris dans la Chambre aux Nains du Manoir des Sangliers, tenant d'une main la verge dudit Sanctis étendu nu sur mon lit et épongeant de l'autre son sperme avec un mouchoir." Massacra tourna la tête pour protester. "Mets la date et signe." Il s'exécuta sous la menace. Gorbuth relut attentivement la confession et contresigna. La panique s'empara de Massacra. "Il est majeur. Il est consentant." Surpris par la détente du bras de Gorbuth, il s'effondra de la chaise comme un arbre foudroyé. Gorbuth plia soigneusement le feuillet en quatre. "Avant une semaine, j'enverrai ton témoignage à tes proches. Même ta mère te reconnaîtra." (.../...)