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Préface
Table des Matières

 
 

 

Compte à rebours

 

Féminine, élégante, discrète. Douce de peau. A tout bien considérer intéressante et désintéressée, ma dernière conquête, la compagne adaptée à mon défaut d'effusions. Transparente et réservée, elle ne me dévisagea jamais comme un insecte pathétique. Avide d'épaisseur, elle était convaincue que je servirais de tremplin à une vie plus conforme. Elle m'excitait prodigieusement. Aucune femme ne m'avait résisté comme elle. Elle n'assumait pas les lourds engagements de l'amour : confiance et don de soi. Je l'aimais en dépit de l'échec partagé. Elle connaissait mieux que moi la femme que j'avais épousée. J'aurais dû veiller à l'empêcher de se fourvoyer sur des chemins de traverse. La manifestation d'une fragilité étrangère à la mienne me fascinait. L'immaturité destinait Angèle à la meute de loups en rut...
 
Silice tendit le joint à Angèle qui demeura indécise devant la coiffeuse. L'aspiration réveilla la douleur dans sa molaire. Elle toussa. Silice se pencha pour attraper la bouteille de whisky. Elle secoua la tête en signe de refus. "C'est déjà trop pour moi." Il déposa la bouteille sur le plancher et s'approcha d'elle. Il glissa tendrement les mains autour de son cou. "Ecoute-moi, Angèle. Cette nuit, il faut cesser de penser à Marie même si c'est difficile." Il l'attira sur le lit. "Les mots sont étranges, Angèle. Les uns nous parlent, les autres restent muets." Il caressa son avant-bras. "Coquelicot, bruyère, sagittaire, ne trouves-tu pas ces mots merveilleux ?" Il se leva pour verrouiller la porte de la Chambre aux Masques puis revint l'embrasser. Elle s'allongea tandis qu'il entrait dans la salle de bains en souriant. Elle se sentait apaisée entre les murs blancs qui la protégeaient de Marie, Cécile et de l'horrible hallucination de la Salle Pourpre. Mutin... Mutin surgit nu comme un ver de la salle de bains. Mutin... Elle tomba sur le parquet en tentant de fuir. Il la souleva par la taille et plaqua la main sur sa bouche. Ses jambes s'immobilisèrent sous la masse musculaire. Silice la bâillonna de son foulard blanc et maintint les bras d'Angèle pendant que Mutin arrachait la culotte. Mutin...
Mutin termina le verre qu'Angèle avait entamé avec Silice. "Ton fric est dans ma chambre." Il désigna Angèle prostrée sur le lit. "A croire qu'elle avait préservé sa virginité pour moi." Silice considéra la verge de Mutin. "Tu es rassuré maintenant. Son genou ne l'avait pas endommagé.
- Ton intérêt pour ma bite me surprend.
- J'ai des amis qui ne cracheraient pas dessus."
Mutin lissa sa moustache. "Laisse tomber. Moi, je me tire."
Silice se retrouva seul avec Angèle. Il dénoua le foulard qui coulissa le long du cou. " Tu m'en veux ?" Il baisa les lèvres inertes. "Mutin n'aime rien autant que son sexe." Ses traits s'épurèrent. "On ne peut vivre sans argent. Sans sexe, oui, mais pas sans argent." La panique scintilla dans les yeux d'Angèle. "Soulève mon masque que je puisse te vénérer comme une sainte." Les cils soyeux cessèrent leur battement.

Fragment structurant

 

Il était dit qu'un jour j'éprouverais une peur panique, pas l'angoisse suintante des journées de désoeuvrement, encore moins la crainte d'être appréhendé par quelque fonctionnaire plus avisé que la moyenne, une frousse viscérale qui m'amènerait à douter des réalités. Le chasseur se nommait Thomas. J'avais senti brûler son regard dès mon entrée dans la discothèque. Grisée au martini, ma taille se déhanchait sur la musique techno mille fois entendue. Je me demandais s'il me fallait ébaucher le premier pas en direction du bar lorsqu'il me rejoignit sur la piste. Auréolé de la lumière dorée de sa crinière, son visage mariait le Septentrion au Midi. Il pressa mon coude avant de me proposer un verre. Ma manière de danser l'avait intrigué et si j'en avais l'envie... Peu après, ma voiture nous transportait chez moi. La voix caressante et son rire entraînant véhiculaient une énergie qui avait pour moi le goût de la nouveauté : je le désirais avant son expiation, vivant, gonflé de promesses. Je m'empressai de lui servir un verre sur le comptoir du salon. J'oubliais d'activer la chaîne pour prévenir les déferlements sonores. J'oubliais surtout de mesurer l'ampleur de sa masse musculaire. Je veillais à remettre son verre à niveau tant sa carcasse absorbait l'alcool sans faillir. Je l'encourageai à me parler encore de sa famille algéro-suédoise. Dans ses yeux verts jaillit la lueur exclusive du désir. Mon babillage avait retardé l'assaut mais perdait de son assurance à se révéler inopérant. Devrais-je le tuer ? me plier à sa loi ? Réflexions malsaines et inconcevables jusqu'alors... Avec Tristan, j'étais seul maître à bord. Céder à Thomas revenait à nous renier, moi et tout mon être. Son érection m'intimida bien davantage que le cerisier de Tristan des années plus tard. Thomas bandait à l'idée de me baiser. Sur ma rétine ricocha le ricanement de la mort. Ma gueule aux traits tuméfiés, un magma malléable où brillait le sourire carnassier... Mes veines en ébullition avaient transformé le monstre en une putain passive mais mon crâne reprenait son office de boîte à malices. Juché sur son dos, je lui massais la nuque d'une main tandis que l'autre fouillait le tiroir de la table de chevet. Thomas releva légèrement la tête à mon impulsion. Mes doigts serrèrent le foulard autour du cou taurin. J'ignorais que la force de la nature me désarçonnerait pour m'envoyer rouler sur le tapis. Furibond. Menaçant et dément. Je m'enfuis sans demander mon reste. Je m'arrêtai devant la porte d'entrée. Etonné par le silence, je revins prudemment sur mes pas. Les bras en croix, le colosse gisait à plat ventre, une blessure béante à la tête. La mine était bonne mais le jeu mauvais. Je ramassais la chaîne en or rompue au moment du choc contre la commode et achevais Thomas qui râlait encore. Une existence écourtée par un tapis, un meuble rustique et une bouteille de gin. Dieu me désignait lui-même la voie suprême en me sauvant des griffes de la brute. A califourchon sur le mort pour une ultime leçon d'équitation, j'étais libre. (.../...)