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Préface
Table des Matières

 
 

 

Remue-ménage

Caresse, susurre, murmure les mots tendres.
De ta bouche contrariée, j'aime à les entendre.

Blottie contre le pied du lit, Marie hoquetait comme une enfant. Bras ballants contre la porte, Julien répéta doucement : "Tu n'es pas celle que j'ai épousée." La Chambre Dorée devenait hostile. "Je t'ai tout pardonné. Tes caprices, tes dépenses, tes réticences, jusqu'à tes coucheries avec Mutin... tout... mais je n'ai pas imaginé... je n'ai pas su imaginer... Tu disais que c'était une affaire de femme... que le médecin allait nous aider..." A la brisure de la voix, Marie releva son visage inondé de larmes. Elle couvrit ses yeux de la manche brodée de sa chemise de nuit, blessée par l'amplitude monstrueuse du rire de Julien. "Tu n'es victime que de ton absence d'éducation, pas vrai ? Tout se déclenche en dehors de toi ?" Il martela la cloison de ses poings serrés. "Tu es un monstre ! Tu les as tués !" Il la secoua d'un bras nerveux puis la lâcha. "Tu me dégoûtes." Elle se réfugia contre son torse. "Frappe-moi. Frappe-moi mais ne m'abandonne pas." Elle s'écroula sur le plancher après qu'il l'eut repoussée contre le meuble à chaussures. Au coup de pied dans les reins, elle gémit faiblement.
Julien tutoyait une Marie qui n'existait plus. "Je t'aimais comme je n'avais jamais aimé personne. Je t'aimais avec une intensité que mon père n'avait jamais soupçonnée. Tu étais celle que je conduisais à l'église, celle que j'espionnais dans son sommeil, la mère promise pour mes enfants." Sa tête bascula en avant. Marie esquissa un mouvement d'approche. L'éclat dans les yeux de Julien la figea sur place. "Retourne auprès de ton père... emporte ton chat... emporte Mutin... Je suis malade de vous savoir au Manoir." Il devait retrouver l'envie de respirer. Quand la porte claqua sur lui, Marie tournoya sur elle-même et tomba à genoux. Elle se griffa les pommettes en invoquant le nom de son père.

Primeur des sentiments

Elle n'était pourtant plus une enfant.

J'hésiterais à convier le hasard à mes brèves fiançailles avec Gorbuth. Pourtant, je tombai dans ses bras sans la moindre préméditation. Je flânais le long des vitrines d'un boulevard du Quartier Latin quand je le percutai. Il empêcha d'une poigne ferme ma chute sur l'asphalte. Nous éclatâmes de rire en nous reconnaissant. Nos rapports s'étaient distendus depuis que la fin du lycée nous avait jetés sur des voies différentes. Il me saisit par la taille. "Tu m'accompagnes dans la tournée des libraires ?" Rougissante, j'étais volubile. "Toujours à la fac ?
- J'ai commencé ma thèse au CEA.
- La physique nucléaire ! Ta grande passion !"
Le laborantin s'immobilisa au milieu du trottoir. "L'atome et la Femme sont mes grandes passions." Comme je lui rendais son sourire, il ajouta : "Je suis heureux de cette rencontre." Il assimila mon irruption à une bouffée d'air frais. Bien que flattée, j'hésitais à le croire. Nous décidâmes de progresser dans notre connaissance réciproque. Nous nous embrassions dans sa chambre de bonne. Il caressait ma poitrine mais je me refusais à dépasser les limites de salubrité. Gorbuth m'aimait bien mais ne comprenait pas cette réticence. Il me raconta son passé comme jamais il ne l'avait évoqué. Il m'avoua sa liaison malheureuse avec Balkis et la tendresse démesurée pour son jeune frère. J'hésitais à risquer l'embrasement de notre relation. Il considéra qu'il n'aurait pu se plier à mes conditions et accepta ma décision de bonne grâce. Je n'eus pas à regretter les baisers échangés. Aucun ne garda l'amertume de cette histoire plus douce qu'un printemps. Gorbuth occupa dès lors une place à part dans mon environnement familier. (.../...)