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Préface
Table des Matières

 
 

 

Fragment manquant

 

Mes finances amorçaient une phase critique et les petits boulots au goût des étudiants n'étaient guère au mien. Malgré les soupirs de Guylaine qui avaient insufflé dans mes bronches un désir inassouvi, mes sens se tenaient en sourdine. Si je respirais mal, après tout je respirais. La Terre révolutionna encore quelque temps avant que ma succion vorace ne s'attaquât à la moelle de Tristan le balourd. A la recherche d'un ouvrage de Tennessee Williams dans une librairie du 15e arrondissement, je fus bousculé par un inconnu, Tristan justement. Il bafouilla les excuses timides d'un enfant sermonné par son professeur. Mes yeux noyés de fatigue rencontrèrent les siens, naïfs et dociles. Je sus qu'il m'appartiendrait. Il paraissait à tort plus jeune que moi, plus immature, plus pur aussi, à une encablure de l'hospice. Il avait hérité de la librairie à la mort de son père et la gérait seul comme un grand, aveugle à ses trésors d'écriture. Il vivait seul, désespérément seul et sans maman, morte elle aussi. Je parvins avec une facilité désarmante à gagner sa confiance et, par à-coups, son intimité. Le marché avait des bases solides : Tristan achetait par sa prodigalité le réconfort qui soignait complexes et frustration, soutien moral que j'étais alors tout disposé à incarner. A y regarder de près, il n'avait d'autres charmes que sa fraîcheur mais sa carrure frêle et les épaules osseuses, la fadeur de ses cheveux blonds et frisés apaisaient pour l'heure le bouillonnement dans mes veines. J'atteignais l'objectif fixé du fin fond de ma chambre de bonne, j'absorbais l'argent de Tristan comme un buvard l'encre. Il m'offrit la location d'un deux-pièces dans le Marais dont je m'empressais de lui interdire l'accès et, en sus du financement des cours d'auto-école, la voiture de ses rêves puisque lui avait échoué à ses examens de conduite. Je commençai à passer les week-ends dans sa maison de campagne car les récompenses le commandaient. Le Pygmalion de pacotille me tenait par l'obésité de son portefeuille. Je repris contact avec des connaissances d'autrefois dans l'espoir illusoire que le temps m'avait épargné. A l'insu de tous et de Tristan surtout, je sortais en semaine à la découverte de saveurs moins conventionnelles. Pour me défaire de l'odeur de naphtaline, je me lavais à corps perdu dans le sang. Ma soif était irrépressible dans la prison argentée que mon entêtement avait sciemment élevée.

Procès d'intention

J'attendrai là
Que les doigts me ravinent de leur peau aigrie.
J'espère aussi
Qu'une aube légère apaisera mon effroi.

Mutin ronflait dans son sommeil. Il rêvait aussi, qu'entraîné par Isabelle et Stéphanie, torse nu, les mains attachées dans le dos, moustaches et cheveux rasés, il s'engageait péniblement dans l'obscurité d'un couloir pentu. Dans la salle illuminée où, confortablement installés autour de la table ronde sur des fauteuils de pierre, Julien, Marie, Balkis et Angèle le dévisageaient sans tendresse, les deux femmes le plaquèrent genoux contre sol. L'incongruité de la mise en scène coupa court à ses velléités de révolte même quand une voix familière trancha le silence. Que le cabot se tienne debout ! Ses cuisses et ses reins tremblèrent d'humiliation sous les coups de pieds assenés. Le cabot est indigne de regarder ses Juges. Les gifles fusèrent de gauche et de droite. Par crainte de faiblesse, il consentit à dévoiler son crâne lisse. Le cabot a dévoré mon pain et volé ma femme. Ma sentence est la mort. Il leva des yeux incrédules sur Julien, très vite ramené à la servilité par une paire de claques. Marie parla en second. Le cabot m'a donné du plaisir et a pillé mes rêves. Ma sentence est la mort. Il serrait les poings quand Balkis enchaîna. Le cabot a flatté mon vice et m'a mortifiée. Ma sentence est la mort. Il s'entailla les lèvres à la résonance des paroles d'Angèle. Le cabot m'a désirée et a brusqué mon innocence. Ma sentence est la mort. Il calma colère et souffrance à l'énoncé de l'arrêt solennel. Les Juges décident à l'unanimité l'exécution du cabot. Que le bras de Julien s'abatte avec justice ! Il bascula sur la table circulaire. La tête pendue dans le vide, il lutta en vain contre ses tortionnaires. Pris de panique lorsque Cécile approcha, il récupéra la faculté de parler. Le procès n'est pas légal. J'en récuse les juges. Il supplia : De quoi suis-je coupable ? Prenez-moi en pitié. Elle lui tira une langue boursouflée et soupesa la hache. Anticipant son impact sur le cou, il baignait dans la sueur quand il s'éveilla. (.../...)