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Préface
Table des Matières

 
 

 

Plus robuste que le granit

Le temps glissait si vite qu'il avait emporté la douleur.

Je crois que la blessure de Julien s'envenima le jour où il me confia la lecture de l'Histoire des Le Beaussaint de 1537 à 1793. Il me prévint étrangement contre la malfaçon manifeste des sources d'inspiration d'Antoine Acquit qui ferait selon lui trébucher ma rigueur scientifique mais tint pour certitude que mon attachement pour les vieilleries forcerait mon intérêt. Je lui opposais la nécessité pour l'historien d'illustrer sa sensibilité par une fantaisie littéraire contrôlée, prédisposition enthousiaste d'Antoine Acquit dont je m'aviserais assez tôt. Je m'offusquais de l'attitude de Julien qui violait les clauses de notre relation en m'imposant sans explication le Manoir comme cadre obligé de lecture. Mon dard ne s'émoussait que pour lui. Je me pliai donc à sa loi. Quand j'entrai dans la Chambre aux Arcs, je ne m'attendais pas à ce que le chef-d'œuvre d'Antoine Acquit m'obsédât le week-end entier. L'honnêteté intellectuelle n'était certes pas le fort de l'arrière-grand-oncle de Julien mais il excellait à empêtrer ses héros dans une frivolité morbide. Aussitôt renseigné sur mon opinion, Julien contesta ma vision divertissante en criant presque à l'anathème. Il croyait dur comme fer à la véracité des fresques. Je répondis qu'il aurait fallu compulser des archives pour s'en assurer. "Il a sacrifié quatorze années à sa rédaction. C'est trop de temps pour tout inventer." Il évoqua la fondation du Manoir des Sangliers, sa rénovation, l'incendie de la fin du XVIIIème siècle et la restauration conséquente. Je répliquai que, bien que la rhétorique libertine de l'écrivain habillât habilement les hommes, elle n'aurait su travestir les pierres. Il renâcla à l'admettre. "Il a pu s'inspirer des traditions orales du pays." L'opiniâtreté soudaine avec laquelle il défendait Antoine Acquit m'indisposait. Orgueil familial ou crédulité puérile ? Espérait-il mon assistance pour authentifier le contenu de l'essai ? une caution simple ? Je ne souhaitais pas me lancer dans une recherche aléatoire qui canaliserait d'autant mon énergie que je n'avais pas encore la qualification requise. Pourquoi d'ailleurs ravauder l'assemblage de contes cruels ? Mon cœur s'était embrasé spontanément sous les douces caresses de la Muette et de Marie Calicot.

Bastion vide

Les fleurs ne s'épanouissent
Plus sur l'épiderme, lisse
Comme le désert aride,
D'homme de cristal limpide.

A califourchon sur la chaise, Silice se roulait un joint tandis que les inflexions de Bjork empruntaient les couloirs secrets de sa cervelle. Le cadran du réveil indiquerait bientôt sept heures et demie. Si les contours de l'œil s'injectaient de sang, la nuit n'en serait pas moins vaincue. Il tira longuement sur le joint et un souffle parcourut sa colonne vertébrale. Il en avait fini de composer des poèmes. La mécanique s'était enrayée.
 
Viens à moi et je prendrai soin de toi. Blottis-toi au creux de ma poitrine. Je te protégerai, je t'apporterai la paix. Viens t'allonger près de moi. Tu es à bout. Avale mon souffle avec ta salive. Tu n'as rien à m'expliquer. Je suis là.
 
Il ne s'appartenait plus. Il ne lui restait que le néant pour fouler l'herbe fraîche sous ses pieds, le néant pour étreindre la quiétude. Ecrasant du pouce son oeil, il fustigea sa réticence dérisoire à accepter la mort. La peur irraisonnée qui comblait ses joues était tueuse de spontanéité, les visions sanglantes le condamnaient à la soumission.
 
Saute. Ta forteresse est la proie des flammes. Je suis ta mère. Je t'attraperai, je te rattraperai. Détache tes liens pour que je puisse veiller sur toi. Je suis ta mère. Viens à moi et je pourrai veiller sur toi. (.../...)