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Préface
Table des Matières

 
 

 

Drogue douce

Dans le jardin exhumant d'enivrants parfums,
Je l'attends comme un bambin mendierait le sein.

Emmaillotée dans une serviette de bains, Angèle s'acheminait vers la Halte aux Dames. Elle étouffait au Manoir depuis la séance de spiritisme, même en compagnie de Marie. Elle se laissa pénétrer de la fraîcheur du bosquet de bouleaux avant d'atteindre la clairière et d'étendre sa serviette sur l'une des pierres de taille. Après avoir ôté ses sandalettes, elle s'allongea pour lire, convaincue d'avoir semé les ombres du château au détour d'un arbre. Quand elle releva son visage transparent dans la lumière, Silice, menant par la longe sa monture, avançait dans sa direction. Elle pensa d'abord à une hallucination puis qu'il ne l'avait pas vue. Il fut bientôt là, scintillant dans son nuage de brume et un foulard de soie blanche noué autour du poignet. Il attacha la jument à un arbuste sans se presser. Il s'assit sur une dalle voisine sans dire un mot. Angèle le taquina. "Julien t'a distancé ?" Les joues de Silice se creusèrent. "Il ne m'a pas accompagné." Elle s'interrogea sur ses cernes violacées. "Tu n'as pas trouvé le sommeil hier soir ?
- Pourquoi ça ?"
Il fronça d'épais sourcils mais se détendit aussitôt. "Tu penses au verre blagueur ? Non... c'est plus simple. Je veille tard et tu as beau ignorer le temps qui passe, il te rattrape !" S'étant reproché l'oubli de ses lunettes de soleil, il modifia sa position de telle sorte qu'il se trouva nez à nez avec Angèle, si proche que sa botte effleura la jambe nue. Angèle masqua son trouble. "J'ai peut-être ce qu'il te faut.
- Tu m'inquiètes."
Il la dévisagea soudain avec un intérêt accru. "Tu en as ?" Le rire d'Angèle s'égrena. "Tu es intéressé ?
- C'est tentant."
Il appuya le menton sur son genou, la charge de ses yeux bleus s'intensifia. "Je suis à peine étonné. Tu fumes souvent ?
- Rarement mais ça détend quand même."
Il demanda intrigué : "J'ai donc la tête d'un fumeur récidiviste ?
- Ca n'a jamais été un secret.
- Tu as deviné que je n'en avais plus."
Les cils d'Angèle battirent plus vite que les ailes du papillon. "Tu es souvent réservé... Pourtant, je te regarde maintenant et tout semble limpide." Un large sourire se dessina. "Mon existence me paraît si étrangère parfois que je crois gesticuler devant un miroir déformant... Tu vas pouvoir m'éclairer sur moi-même." Elle le gronda gentiment. "Tu mords toujours autant quand tu te crois menacé ?" Silice retroussa le bout de son nez dans une grimace. "Imagine les inepties que tu vas m'aider à écrire."

La mort pour parrain

 

Gorbuth entretenait une relation conflictuelle avec le monde, déversant sur le reste de l'humanité la même absence d'intérêt que sa mère. Seule la vue de corbeaux, regroupés sur une aire agricole par quelque instinct grégaire, le rendait perplexe sur sa condition d'huître.
Le père de Gorbuth était mort trop tôt pour développer l'éducation libre et tolérante qu'il avait souhaitée pour ses enfants. L'infarctus survenu sur un court de tennis l'avait enlevé à sa femme, à ses deux fils et à un foyer criblé de dettes. Si Gorbuth l'avait peu connu, Sanctis, un nourrisson, point du tout. Du jour au lendemain, les rires avaient déserté la maison orpheline qui hébergeait autrefois une horde d'enseignants barbus. La mère de Gorbuth était une fée du logis inconsciente des réalités terrestres. Elle se résigna à briquer le parquet des particuliers et ne cessa jamais, même quand son aîné devenu adulte lui proposa un soutien financier.
Dès lors que sa mémoire exhumait le souvenir de son père, Gorbuth entrevoyait une silhouette filiforme secouée par un immense éclat de rire. Annotant un livre dans les toilettes ou comblant une grille de mots croisés, l'instituteur aux cheveux longs exhalait l'amour des plaisirs simples. Les enfants n'avaient pas assisté à son enterrement. Gorbuth avait passé la journée devant un vieux poste de télévision. Il pleura à en devenir aveugle quatre jours plus tard lorsque, premier de la composition de mathématiques, il lui revint que son père lui en avait décortiqué la leçon. Depuis le jardin de sa maison, il contempla les plaines cultivées et jeta la copie dans le champ de betteraves après l'avoir réduite à la taille du pouce. (.../...)