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Préface
Table des Matières

 
 

 

La fuite en avant

Elle rendait le démon responsable du désastre.

Je possède tout ce qu'une femme désire. J'exècre les femmes qui désirent un enfant. J'exècre les enfants. Ils me glacent d'horreur et d'impuissance. Je hais leur tête blonde qui attise la convoitise, je hais leur insouciance, je hais leur facilité à causer la souffrance. L'idée que moi, que Julien, que les Huîtres et Massacra, que mon père même !, ayons emprunté leur visage m'insupporte. Je frémis au moindre piaillement, je tremble au plus timide sourire, je ne discerne que la mort derrière leur regard clair. Le destin d'une femme n'est pas de procréer. Je disposerai de mon corps à ma guise. Je ne saurais déchirer mes entrailles pour commettre une telle monstruosité. Comment les gens s'accommodent-ils d'avoir donné forme à l'être pervers qui se nourrira de la chair d'autrui, à commencer par la leur, pour atteindre la maturité ? La tendresse pour ma petite sœur s'est éteinte à son accouchement. Je me réjouis qu'aucune autre de mes connaissances n'ait d'enfants. Si le rire ensorceleur résonnait dans une salle du Manoir, s'il me fallait soupçonner la présence sournoise derrière les portes, je le quitterais sans détour. Trop de meurtrissures tuent au jour le jour. J'ai un mari attentionné qui n'accepterait pas les extrémités auxquelles me voue la spirale de ma folie. Il est si droit, si doux, si limpide qu'il ne comprendrait pas. Il a beau m'assister dans mes névroses, il n'en aura jamais la clef. Je ne suis pourtant que les règles définies par mon essence. Les transgresser reviendrait à me désavouer. J'ai perdu ma candeur de jeune fille et je sais où trouver le Bien : de l'autre côté du Mal.

Age ingrat

Lors des nuits de givre que l'innocence enfante,
Je me frottais lascif, fou d'amours indécentes.

Tandis que Mutin et son frère s'affrontaient sur le court de tennis, Sanctis empruntait le chemin de retour au Manoir. Quelle nouvelle torture s'inventait-il ? Il hésita tragiquement. Son cœur explosa quand il frappa. Jamais il n'aurait le courage d'entrer. Il referma avec soin la porte derrière lui. Le regard de Julien quitta la cheminée pour venir à sa rencontre. "Tu as besoin de quelque chose, Sanctis ?
- Je ne veux pas t'ennuyer."
Julien l'invita à s'asseoir près de lui. "Silice m'attendra un peu pour monter à cheval." Sanctis s'imagina sur le dos de l'équidé, libre d'aller plus loin et sans entraves. Julien patienta comme lorsque son père peinait à surmonter le handicap de la maladie puis Sanctis, front tourné vers ses mocassins, se décida. "Je t'aime. Je t'aime depuis que je te connais." Décontenancé, Julien se leva de son fauteuil. Il croisa les bras pour les décroiser aussitôt. Sanctis le dévisagea sans pudeur. "J'ai beau tout retourner, j'en reviens au même point. Je ne veux pas de ta pitié." Julien ouvrit grand la porte de son cabinet personnel. "Je ne veux pas savoir si tu plaisantes. Sors d'ici et c'est oublié." Sanctis quitta son siège. "Tu n'es pas comme Cécile. Ne me méprise pas ! Ce n'est pas de ma faute si tu habites mes nuits. Ce n'est pas de ma faute si je fouille tes armoires pour y trouver ton odeur." Julien avait refermé la porte. "Ce n'est pas de ma faute si je mens à Gorbuth. Ce n'est pas de ma faute si j'ai surpris Marie et Mutin." Julien agrippa les épaules osseuses. "Vas-tu la fermer ?" Il embrassa les traits ingrats dans leur globalité. "Quel âge as-tu ?" Les joues de Sanctis s'enflammèrent. "Bientôt vingt-deux ans." Julien l'entraîna doucement vers l'extérieur. "Pardonne-moi si je ne peux pas t'aider."
Sanctis échoua dans le couloir silencieux. Les crampes à l'estomac trahissaient sa honte d'exister. Les pas le menèrent droit à la chambre de Massacra qui, seul au Manoir, avait pris du temps pour l'écouter. (.../...)