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Préface
Table des Matières

 
 

 

Tables de jeu

Cérémonie mortuaire
Deviendra bacchanale
Pour l'oisillon impubère
Au dégoût virginal.

Alors que Balkis entrait bonne dernière dans le Salon Pourpre, Julien, appuyé contre l'horloge, s'enquit prudemment des souhaits de l'assemblée. L'ironie perça chez Gorbuth et Cécile : Evite les poèmes ! Décontenancés par la symbiose, ils s'enfoncèrent dans leur fauteuil. Julien lança un coup d'œil à Silice qui se roulait une cigarette. Massacra prit congé sous prétexte de fatigue. Sanctis lui emboîta le pas. Gorbuth fixa du regard les deux hommes qui sortaient en discutant. Après Cécile, le professeur retraité qui utilisait à coup sûr une teinture pour raviver la rousseur de ses cheveux... Sanctis devait-il accorder le bénéfice de ses pensées avec tant d'ostentation ? Il languissait du jour où son frère se pencherait vers lui avec le même naturel. Une digression de Mutin interrompit ses réflexions. "Plaignons les huit garçonnets et fillettes entassés dans le même placard, à qui il ne reste guère d'espoir de rattraper leur jeunesse... si ce n'est en copulant illico sur les tapis persans." Gorbuth gloussa. Cécile les dédaigna pour observer Angèle qui avait saisi la main de Marie. Julien prit sur lui de dissiper la tension naissante. "Alors, les Huîtres, personne pour me défier aux cartes ?" La résonance de leur surnom troubla les anciens lycéens, même Mutin qui réagit avec véhémence. "Je veux me détendre ce soir. Mais pas dans une cour de récré." Marie désigna le guéridon en bois de merisier. "Une séance de spiritisme te conviendrait ?" Mutin exhiba ses crocs. "Ta dernière lubie ?" Silice s'embrasa d'une ferveur enfantine. "Ca me conviendrait bien à moi." Julien trancha : "Trois viennent avec moi pour un bridge dans le Petit Salon. Les autres font tourner la table ici."
Silice éteignit les lumières du lustre, plongeant le salon dans les ténèbres. Le pied de Mutin frôla la cheville de Marie sous le guéridon. Quand Silice trouva à tâtons l'interrupteur de la lampe marocaine sur la table basse, Angèle éprouva de la reconnaissance. Il lui sourit en se rasseyant tandis que Mutin jugeait bon d’assurer : "Ne t'en fais pas, ça va marcher." Angèle réprima sa gêne pour la complaisance affichée de Marie à l'égard de Mutin. La présence de Silice allégeait heureusement l'atmosphère. Elle peina à maintenir son index sur le verre à moutarde quand il s'élança avec une fluidité improbable. Il s'immobilisa au centre de la table à l'injonction de Silice qui pria l'esprit intercepté d'épeler son nom. Le verre chemina entre les lettres du Scrabble pour composer le mot coquelicot. Mutin ricana. Silice blêmit. Le verre tourna sur lui-même, de plus en plus vite, en élargissant la spirale à chaque ronde. Des lettres voltigèrent sur le plancher. Il échappa à leurs doigts et vint se briser aux pieds de Marie sous le hurlement strident d'Angèle.

Baiser de paix

Je ne vois roder que la mort autour de moi
Même quand tu me souris.
Je m'étends cloué sur une planche d'acier
Même quand tu me caresses.

Gorbuth palpa l'épaule à travers le tissu du chemisier. "Bien sûr qu'il y a une explication logique. Ne t'invente pas de faculté extrasensorielle !" Hésitante devant la porte de sa chambre, Angèle rétorqua : "Ce n'est pas un hasard.
- Les fantômes n'existent pas !"
Elle le supplia de rester un moment avec elle, ce qui suscita son rire. "Quand te décideras-tu à grandir ?" Il pénétra le premier dans la Chambre Blanche et s'assit sur le lit. Elle prit place sur la chaise du bureau, tendit une cigarette qu'il refusa poliment. Après l'avoir allumée, elle parla très vite comme pour disperser une cohorte d'ombres. "Marie a des idées saugrenues. J'aurais mieux fait de suivre Massacra et Sanctis. A l'heure qu'il est, je dormirais sûrement.
- Donne-moi une cigarette."
Elle lui lança le paquet sans se douter que l'évocation de Sanctis avait motivé son revirement. En actionnant le briquet pour lui, elle le questionna sur le déroulement de la partie de cartes. Il en dressa une description grotesque qui engendra la détente. Il conspua Balkis et Cécile que Julien et lui-même avaient affrontées. "C'était tordant de la voir insulter Balkis sur son jeu." Il omit de préciser qu'elles avaient assuré la victoire. Julien avait multiplié des étourderies inconcevables pour un joueur de son niveau et avait simplement prétendu que c'était un jour sans. Sans quoi ? Pour Gorbuth, rien de plus facile, la vie se déclinait en fonction des jours avec et sans Sanctis. Mais pour Julien ? Gorbuth troua, de sa cigarette, le nuage de fumée. "Tu vis toujours seule ?" Surprise, Angèle usa d'effronterie. "Comment ça, seule ?
- Tu m'as bien compris. Tu as un petit ami ?
- Mes collègues ont le mauvais goût de s'être casés avant de me connaître... Et toi, comment disais-tu déjà ?, la Femme... tu l'as trouvée ?
- Je reste dans la course mais je commence à perdre des cheveux."
Ecrasant la cigarette dans le cendrier tenu par Angèle, il se risqua à effleurer sa joue. Elle le repoussa sans mesure. "Pourquoi, Angèle ? On s'entend bien, non ? Depuis toujours.
- Ca n'a aucun rapport.
- Tu m'as laissé tomber après une semaine d'embrassades."
A grandes enjambées, elle gagna la porte d'entrée puis stoppa net, se retournant sur Gorbuth. "Pourquoi tout gâcher ?" Il la rejoignit. "Ce n'est pas grave, Angèle. Mutin bombe le torse mais je sais qu'il y a aussi rayé ses crocs." Il caressa gentiment une mèche de cheveux. "Je te souhaite la bonne nuit." Il saisit la poignée de la porte. Le sang monta aux pommettes d'Angèle quand elle posa la main sur la sienne. (.../...)