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Préface
Table des Matières

 
 

 

Secondes noces

Reviendrez-vous me consoler quand les fantômes
Couvrent de leurs hurlements lubriques mon psaume ?

Marie tenait Balkis pour une émanation malsaine. La compétition qui avait précédé son union avec Julien avait emporté son jugement. A dire vrai, Balkis n'avait jamais dépassé les bornes de la bienséance. Marie ne se fondait que sur un commentaire ancien de Julien : Elle a un port de reine, des seins presque aussi beaux que les tiens.
Les motifs de désespoir se bousculaient à mobiliser ses facultés sans qu'elle ne se risquât ouvertement à l'agressivité. Aussi se concentra-t-elle sur les assiettes de porcelaine qu’elle sortait du buffet quand, découvrant sa superbe dentition, Balkis lui proposa son aide. Elle hocha quand même la tête. "Les couverts sont rangés dans ce tiroir." Elle jugea avec insistance le tour de poitrine sans vraiment se rassurer. "J'avais oublié les congés d'Ether. J'en suis quitte pour essuyer la vaisselle moi-même !" Balkis rassembla l'argenterie près des assiettes sur la commode. "C'est ton service de mariage ?" Marie acquiesça prudemment. "C'était le cadeau de mes parents pour mon mariage, leur propre service." Balkis la dévisagea avec curiosité. "Je me souviens très bien de ton père. Il était aussi élégant que le futur marié." Marie claqua la porte du buffet. "Il a toujours paru plus jeune que son âge. Un moyen comme un autre d'agacer ma mère.
- Tu en parles peu. Il va bien ?"
Marie tordit le torchon entre ses doigts. "A la mort de ma mère... il y a déjà quatre ans... il a rencontré une femme." Elle reprit son souffle. "Une femme qui est devenue sa femme maintenant... d'origine turque ou grecque, je ne sais pas exactement.
- Les hommes sont incapables de vieillir seuls."
La physionomie de Marie marqua son peu de conviction. Balkis l'aida à transporter la vaisselle sur la longue table carrelée de la cuisine puis ramassa le torchon qui traînait sur le sol. "Tu les vois de temps en temps ?
- Qui donc ?"
Balkis posa le torchon sur le bord de l'évier. "Ton père et sa compagne. Il est déjà venu au Manoir ?
- Mon père a toujours mené sa vie à sa guise. Ils se sont installés loin d'ici avec leur enfant."
Frappée par la froideur, Balkis emprunta le premier prétexte pour monter à sa chambre et laissa Marie au décompte nerveux des couverts.

Clef de voûte

Il portait les atours discrets et inoffensifs de l'homme cultivé.

Mon âme n'a jamais autant pleuré qu'à l'annonce du trépas de Pier Paolo Pasolini. Même si la perception d'alors m'est devenue quasiment étrangère aujourd'hui, ma jeunesse se désagrégeait dans un chaos mortifère.
Je ne crois pas avoir tressailli quand la presse élucida les circonstances de son assassinat dans le faubourg d'Ostie. Le chantre de la passion mystique n'a pas été immolé en martyr de la poésie... ni ses attirances marxistes, ni le merveilleux révolutionnaire de ses films n'ont commandité sa mort... elle est l'aboutissement d'une vie sordide centrée sur son cul et quelques autres... Avides de lumière, mes rétines s'étaient abîmées sur les mirages morbides. Le jardin de mes ferveurs avait pris racine dans un charnier à la puanteur fétide.
Je ne crois pas avoir connu de montée de fièvre plus forte qu'à l'élection de François Mitterrand à la Présidence de la République. La vague rose qui inondait la France m'éleva au-dessus des contingences terrestres. Je me souviens aussi du dénouement à la tragique existence de Romy Schneider.
Je ne crois pas avoir davantage méprisé mes deux frères et ma sœur qu'aux cérémonies de leurs mariages. Je me souviens de la naissance de celui qui deviendrait mon filleul. Loin de moi l'idée de m'absoudre : je revenais inlassablement au sourire informe qui perçait mon cœur de funestes jalousies.
Je ne justifie rien. Je n'ai que l'ambition de m'endormir le soir au chaud dans l'amour de ma mère. (.../...)