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Préface
Table des Matières

 
 

 

De connivence

Et toi, que me veux-tu ?
As-tu son vil regard
D'ondine langoureuse ?
Tu as la pose pieuse
Des statues au nectar
Mielleux. Me comprends-tu ?

Quand il s'agissait de Julien, la situation la plus inextricable se démêlait pour Cécile. Malgré ses a priori sur Marie, elle se contentait, pour l'heure, de veiller à ce que Julien ne dérogeât pas à son statut d'honnête homme. Il lui confia son intention de quitter sa femme. Elle s'inquiéta du délai de réflexion qu'il s'était accordé. Il répondit qu'il méditait depuis trois jours à en perdre le goût du vin. Elle détourna son regard. "Tu n'as que le témoignage de Sanctis." Julien grimaça. "Tu as déjà vu l'océan, Cécile, cette étendue grise à perte de vue ?"
Il avait décroché le miroir pendu au-dessus de la cheminée et le reposait prudemment sur les lattes. A l'aide d'un trousseau de clefs, il déverrouilla le panneau dissimulé derrière et révéla la cache creusée dans le mur où sommeillait un coffret cadenassé. Il le transporta sur le bureau puis, avec force gesticulations, en extirpa un pistolet. Il l’effleura du bout des doigts, s'attarda sur la crosse puis la gâchette tandis que Cécile s'exaltait. "A qui penses-tu, Julien ? A qui ?
- A Mutin, bien sûr."
Elle essuya ses lunettes pendant qu'il reposait l'arme dans le coffre métallique. "Il est méfiant.
- Mutin ne m'a jamais devancé."
Il sourit à contrecœur. "Même avec Marie. Jamais. Mais, tu ne dis rien... Tu le détestes tant que ça ?
- Plus encore."
Elle marqua une pause. "Tu as le droit de foutre ta vie en l'air. Je te respecte trop pour te reprocher quoi que ce soit." Elle s'avança pour mieux voir le pistolet. "Marie l'a déjà eu en main ?
- Personne ne connaît cette cachette et je garde les clefs sur moi en permanence. Ma vie est déjà foutue. Je veux la paix."
Les prunelles grises de Cécile s'éclairèrent. Elle caressa les cheveux bruns parfumés. Julien se laissa faire. "Pardonne-moi. J'avais oublié que tu étais mon amie. J'avais oublié ce qu'était un ami." Elle appuya la main sur son épaule. "Moi, je n'ai rien oublié. Les discussions, nos ambitions… ce livre que l'on doit écrire ensemble, tu te souviens ?" Elle l'embrassa sur la joue. "La reine sans miel est encore capable de piquer."

L'histoire du vrai petit Poucet

 

Des boucles dorées qui roulaient sur la nuque, un visage confiant et éveillé, un caractère déjà teinté de docilité et d'indépendance, Sanctis avait tout à cinq ans pour rapprocher un couple au bord de la rupture. Quand Gorbuth le prenait sur ses épaules et cavalait dans le jardin, il se gaussait d'importance aux cris de sa mère qui veillait derrière la fenêtre de la cuisine. Lorsqu'il avait atteint l'âge de cinq ans, il s'était soudain avisé de l'existence de son frère aîné. Assurément, Gorbuth ne manquait pas d'invention pour embellir le quotidien. Il n'admettait aucun rival pour grimper sur les arbres et y construire une cabane en bois. Il montra à Sanctis comment siffler avec les doigts et uriner le plus haut possible sur une palissade. Il aida le garçonnet à combler le manque du père et ne contesta jamais l'ordre établi même si leur mère persistait à présenter Sanctis comme son fils et Gorbuth comme le frère.
Sanctis apprit à nager à l'âge de cinq ans grâce à un ami de leur mère. Jaune de jalousie sur la plage de galets, Gorbuth voyait l'enfant rieur fendre l'océan et son cœur se pinçait de ne pas le tenir lui-même dans les bras. Il se contenta d'un échange furtif avec Sanctis quand, à la fin du séjour, sa mère s'indigna de sa propre incapacité à nager. A cinq ans encore, le petit frère vécut un sentiment de vide incommensurable quand l'une de ses camarades changea d'école maternelle. A peine Gorbuth le questionnait-il sur son chagrin qu'il se buta dans le silence. Il tenait sa peine pour lui. Il désirait rester seul avec sa mère. Il désirait redevenir fils unique. Gorbuth n'était pas qualifié pour lui enseigner l'art de supporter l'affliction avec le sourire. (.../...)