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Préface
Table des Matières

 
 

 

L'intrépide soldat de plomb

 

La jeunesse de Mutin se joua dans une HLM de la banlieue industrielle sous la férule de parents ouvriers, amoureux de leur progéniture. Dernier-né malicieux qui, par ses cheveux blonds coupés très courts, évoquait les régions glacées du septentrion, Mutin ravissait les cœurs avec une assurance précoce. Tenant l'échec pour honteux, l'enfant avait instruit une technique de jeu aux billes qui allait motiver sa rencontre avec Julien, le champion de la pension catholique voisine. Au fil des parties où chacun rivalisait de prouesses dans la cour de récréation de l'école primaire, Mutin constitua un trésor de guerre dans la corbeille en osier de sa chambre.
Le jour de sa neuvième année, son père lui offrit une bicyclette. Il fendait l'air comme un aigle. A en perdre l'usage des jambes, il fondait sur les petites filles qui jouaient à la marelle sur les trottoirs et son âme en bondissait d'allégresse. Les sermons des parents excédés incitèrent bientôt son père à lui interdire l'usage délictueux et Mutin reçut un ballon de football en compensation. La passion pour ce sport résista à toutes les affres de l'adolescence : la force de la nature y éliminait le trop-plein d'énergie témoin d'un désir de vivre exceptionnel.
La fierté de ses parents l'accompagna tout au long de sa scolarité. Premier rejeton de la famille à réussir le baccalauréat, il la hissait vers des hauteurs insoupçonnées où il embrocherait avec bonheur les conventions sociales.

Sœurs converses

Par la flamme attiré,
J'ai voulu exhumer
La beauté à genoux
De ces monceaux de boue.

Angèle prenait le soleil sur une serviette de plage étendue dans la tranquillité de la Halte aux Dames. Le regard noir de Balkis émergea du bosquet de bouleaux pour atteindre son visage exposé. "Tu me dois une explication." Arrachée à la léthargie, Angèle trahit un geste d'agacement. L'intruse l'agrippa par ses épaules nues. "C'est à cause de Silice ?" Elle la lâcha pour s'asseoir sur l'une des pierres plates et ramena ses genoux bronzés sur la poitrine. "Tu m'as toujours acceptée comme je suis. Ne change pas sur un mouvement d'humeur." Son propre souffle se mêla à la respiration du parc. "Je n'ai pas couché avec lui." L'étonnement irisa les prunelles d'Angèle. Balkis étreignit plus fort ses jambes. "Nous ne sommes pas ennemies. Le destin décide, pas nous.
- Je ne crois pas au destin. Laisse-moi seule."
Balayant de la langue ses lèvres purpurines, Balkis scruta les toits d'ardoise qui dépassaient des frondaisons de la forêt. "Tu te protèges parce que tu n'as jamais fait l'amour." Angèle se contraignit à sourire. "La fréquentation de tes malades n'a pas arrangé ton jugement.
- Tu as tenté ta chance avec tous ici, j'en exclus Julien, mais tu n'as jamais dépassé ta peur."
Angèle s'empourpra. Balkis reprit : "C'est un drôle de type. Tu es vierge et il t'appelle catin." Angèle demanda sans conviction : "Pourquoi devrais-je te faire confiance ?" Elle sonda avidement le visage qui lui faisait face. "Peux-tu comprendre que mon organisme s'accorde mal du rythme de ce monde, que l'esprit s'oppose toujours ?
- Tu n'as jamais aimé personne ?"
Comme elle ployait légèrement son cou de cygne, Balkis ajouta : "Silice se nourrit de chimères." Elle subissait l'attraction d'Angèle qui ne lui ressemblait pas, qui lui était même étrangère. Elle appréciait la présence discrète, l'unique présence de femme qu'elle tolérât. "N'es-tu pas exigeante avec toi-même ?" Angèle se remémora l'étreinte de Cécile qui l'avait instantanément privée de sens. Elle revoyait, dans la glace, sa figure bloquée sur une grimace douloureuse, celle qui annonçait les pleurs et, la seconde suivante, le néant. Elle détacha chaque syllabe à l'attention de Balkis. "Je ne suis rien." (.../...)