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Préface
Table des Matières

 
 

 

Temps mort

Aujourd'hui j'ai mal
Car mon cœur s'est ouvert.
Aujourd'hui je râle
Car mon sort est pervers.

Mis à part le mobilier que la mère de Julien s'était appliquée à rassembler en fréquentant les créateurs les plus courus de la capitale, le cabinet personnel n'avait subi que peu de transformations depuis 1522. La devise des nouveaux Templiers, Dieu et la mort pour bras, s'étirait sur la cheminée surmontée d'un miroir vénitien. Comme s'il la découvrait pour la première fois, Julien s'y réfugia pour convoquer la sérénité que la tension du dîner avait dissipée. L'envol des certitudes l'avait laissé sans substance et menaçait les espoirs exacerbés lors de l'exutoire du déjeuner. La compagne des jours heureux et son vieux camarade... au cœur de l'après-midi... vautrés dans les mêmes draps de soie... Le refus de l'angoisse avait bridé sa raison, comment désirer sa propre crucifixion ?, tant que l'attitude de Marie se prêtait aux équivoques. Il regimbait maintenant contre l'épreuve obscène qui consistait à forcer ses aveux. Ignorant du mode d'emploi, il craignait que sa contenance ne s'évanouît dans la douleur. Il se souciait autant du sermon de Massacra que du contenu des vers débités en état d'urgence. L'échafaudage sur le principe du Cadavre Exquis, joujou cher à Silice, n'avait de sens que celui du vers ultime : La Chambre Dorée, pour Julien et Marie, l'appétit contient. Si le degré d'authenticité des autres assertions l'indifférait, il prenait conscience qu'à rendre le mal pour un mal, il avait heurté des sensibilités innocentes. C'était pourtant Sanctis, ce naïf à la mine abattue, qui avait l'avant-veille surpris les deux amants dans la Chambre Rouge. Charmant garçon en vérité qui avait souffert l'horreur du spectacle pour mieux le décrire à la dernière personne qui souhaitât l'envisager. Pour lui aussi, le courage serait nécessaire au franchissement des frontières où il se débattait.

L'or des étoiles

 

Une nuit suffit à Gorbuth pour s'éprendre de Rita Hayworth. La photogénie noir et blanc du visage de Gilda, rehaussé par le flamboiement de la chevelure, lui avait révélé le mystère de la Femme. Jusqu'alors peu friand des encarts publicitaires, il édifia une collection d'images ainsi que de revues spécialisées au secret jalousement préservé. Il souffrait de paraître un adolescent attardé qui éjaculait sur des pages glacées.
Que de grâce, de douceur surtout à travers le filtre de la purification... la face vivante du monde qui se refusait à Gorbuth. Le mélange de fierté et de pudeur lui renvoyait l'écho de sa propre duplicité : le désir d'amour et la pulsion de mort comme les traits sombres et rayonnants d'une humanité unique ! Il se perdait en spéculations devant la beauté marmoréenne : sa méfiance maladive ne le privait-elle pas de son droit naturel à vivre ? Il avait côtoyé des femmes, cru en aimer certaines. Il n'abdiquait qu'une confiance limitée à un choix d'amis. Il ne s'était jamais départi du sentiment que tout se conquérait à chaque seconde et son humeur variait en conséquence, avec zèle et constance. L'incertitude du présent, sans compter celle de l'avenir, affolait ses tripes. Les photographies arrachées par des ciseaux fiévreux garantissaient la réalité du bonheur indivisible mais le sourire de l'idole celait d'intouchables vérités.
Il ne supportait pas les détracteurs de l'actrice ni la confusion avec Lana Turner. L'écoute des compliments convenus le comblait d'orgueil. Quand il s'ouvrit de son commerce clandestin à son frère, le jugement tomba comme un couperet. "Ses épaules sont taillées dans le granit." Gorbuth enferma l'album dédié à Gilda dans le placard qui plus jamais ne le régurgiterait. (.../...)