En 1593, Julien Le Beaussaint prenait doucement de l'âge en compagnie de ses enfants issus de deux couvées différentes. Il médita sur l'opportunité d'en mettre une troisième en production et épousa une bourgeoise de Morgueil dont l'attrait était, outre la fortune, la poitrine généreuse. Quand d'autres ne songeaient qu'à leur salut, il travailla à l'épuisement de sa verdeur intacte. Malgré leurs deux ou trois enfants qu'elle sauva de la maladie, Cécile Rétoile n'était acceptée ni des compagnons ni de la parenté de son mari. Sa liaison avec le palefrenier du domaine éclata au grand jour au bout de deux mois, lorsque son mari surprit le serviteur, avide de la becquée, affairé à téter ses seins opulents. Le corps robuste de Martin Rohart se balança à la corde du gibet. Les coups de lanière marbrèrent la chair de Cécile. Julien lui infligea, tel un écho à son péché, le port permanent d'un corset qui bridait aussi sûrement son buste qu'une cotte de mailles. Satisfait de son œuvre de vengeance, il reprit avec elle une vie de pénitence commune.
Le Chevalier de Morgueil se dressa sur son lit de vieillesse pour baiser la croisée de son épée. Il adjura son épouse de porter le crucifix en ivoire de sa mère en sa mémoire. Beaucoup s'émerveillèrent de ce que, libérée par sa mort et retirée au couvent, Cécile gardât le corset en repentance. Elle n'éprouvait plus rien de douloureux que pour son ignoble jeunesse.

Balkis plongea ses ongles violets dans le sac à la recherche des clefs de voiture. Si les autres se complaisaient à l'incrustation d'insultes sur leur front, elle n'y voyait rien à redire mais elle ne resterait pas un quart d'heure de plus au Manoir. Non seulement les vers lancés par Julien l'avaient maltraitée mais Silice en avait revendiqué la paternité. Le sac à mains s'écrasa sur la porte de la salle de bains et le crucifix battit contre sa poitrine. Les clefs de voiture avaient disparu. Elle enfoncerait dans leur gosier les rires de Mutin, Gorbuth et Julien. La sagesse lui commandait pourtant la prudence. Ses pensées revinrent à Silice qu'elle avait évité à la fin du repas. Les autres aussi, bien sûr, mais Silice surtout. Oui, elle s'était réfugiée dans sa chambre pour fuir son visage trompeur. Ange sans ciel, aimée Balkis en Chambre aux Cœurs son corps dévisse. Pourquoi ce rappel à l'ordre ? Avait-il seulement mesuré l'injustice de ses propos ? Elle luttait plus que jamais contre les exigences du feu allumé dans ses viscères. Silice ignorait la solitude nocturne d'un corps soumis au désir et ses manoeuvres brutales. Elle avait respecté les règles et s'était efforcée de croire en lui. Il s'était joué d'elle. Le petit garçon abritait dans sa carcasse un monstre opaque que la haine de Balkis parviendrait à débusquer. Le cupidon d'ébène sculpté sur la poutre du plafond sembla se divertir de son désarroi. Elle balaya du regard les objets inanimés de la pièce puis s'attarda sur le plan de la commode en cèdre où reposaient les clefs de sa voiture. Plusieurs fois elles glissèrent entre ses doigts. Aucun muscle ne se banda pour signifier le départ. (.../...)