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Préface
Table des Matières

 
 

 

Amour propre

Suant par tous les pores
Des folies révolues
Sur le ton convenu
Par les sursauts du corps

Allongé sur le lit, il se retrouvait, seul comme le dernier des crétins, à téter une bouteille de gin, sans verre ni glaçons. Bien que lui fût convaincu de l'ignorance de Julien, Marie avait prêché, dans le doute, l'abstinence. Si Mutin avait tenté de la raisonner en puisant à une large palette de couleurs, sa puissance de séduction avait dû capituler devant la vision de mort qui obscurcissait l'imagination de Marie. Les amants s'étaient agonis d'injures.
Il arbora une érection nullement amoindrie par l'alcool ingurgité et s'insurgea contre le droit de Marie à balayer d'un geste le souvenir du plaisir accordé. Etranglant d'une main le goulot de la bouteille, il déboutonna le pantalon qui comprimait son sexe. Il avala une rasade de gin et travailla au repos des muscles contractés. "Elle ne fait même plus bander Julien !" La bouteille vide éclata contre le mur et s'éparpilla en morceaux sur le parquet en bois. Vaguement inconscient, il s'abandonna à des grognements de joie. Son regard de jade s'accrocha à la braguette qu'il commença à reboutonner. Quand les yeux se brouillèrent, il renonça à commander à ses doigts. Il se ramassa comme un dessus-de-lit sur le plancher puis marcha à quatre pattes vers les bris de verre. Comme il en saisissait un à tâtons, une goutte de sang vermillon jaillit sur son majeur.

Les quatre frères ingénieux

 

A l'heure du sommeil où le silence l'effrayait, Sanctis endossait les costumes sur mesure de Médée, Circé ou Morgane.
Médée, le magicien initié aux rites sacrés des Mayas et des Celtes, servait Dieu de ses pouvoirs infinis. Il passait la journée à composer des œuvres aussi troublantes que le roman, la peinture et la sculpture. Obsédé de justice, il pourchassait les Méchants et les Fourbes la nuit. Couvert d'une ample chemise de soie, longue jusqu'au mollet, il était invincible et impitoyable, un tailleur de têtes flamboyant.
Le Crétois Circé, une autre des panoplies de Sanctis, se réincarnait en son fils unique depuis l'aube des temps. La gloire de son peuple rayonnait sur le monde méditerranéen de l'an 3000 avant Jésus-Christ à travers sa beauté et son génie propres à reléguer dans l'ombre de l'Histoire les despotes les plus hardis.
La machination ourdie par un savant jaloux propulsait parfois Sanctis sous le règne de Toutankhamon, nu et rampant dans le désert égyptien. Il gagnait la faveur pharaonique en instituant un culte de l'Amour novateur pour lequel s'immolait sa vertu et fléchissait le destin en s'accouplant avec le prestigieux monarque.
La vie de Morgane s'écrivait en lettres noires dans la nuit éternelle. Pour qu'elle se prolongeât encore, une mort violente devait arracher son âme avant qu'elle n'empruntât une nouvelle enveloppe charnelle capable d'accueillir sa fièvre créatrice. Egorgé en Algérie, fauché par la BMW d'un proxénète corse, le poumon perforé d'une balle pour s'être opposé au Front National sur la place publique, Morgane ne cessait de sentir sa fin survenir.
Dans le flot des ténèbres où soufflait sur Médée, Circé et Morgane un même esprit, le matelas de Sanctis ressemblait chaque nuit davantage à un radeau auquel s'agrippaient des rats affolés. (.../...)