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Préface
Table des Matières

 
 

 

Litanie des astres

Aujourd'hui j'ai mal
D'espérer la lumière.
Tout m'est bien égal :
Je renie mes chers frères.

Recroquevillée sur le lit, Cécile lisait sans envie. Après avoir étouffé un bâillement, elle ôta ses lunettes. Elle jeta un regard soumis à travers la fenêtre surmontée d'un arc cisaillé dans la pierre. Au loin, le chemin de graviers s'enfonçait dans la forêt de chênes-verts. Nature singulière au feuillage malhonnête qui pique, pique, pique... A son refus du sommeil et de l'asservissement à la lecture se heurtait la volonté de fuir la compagnie réunie au Manoir. La variété des spécimens ne devait pas occulter un spectacle de platitude dont seule l'érudition de Massacra excellait à la distraire. La présence languissante de Sanctis l'irritait. La plantureuse Marie ne desserrait les dents que pour lui donner la migraine. La dévotion secrète dont elle couvrait leur hôte de grand style, Julien Acquit, s'était nourrie avec le temps mais c'était Mutin qui s'était autopromu chien du propriétaire en exhibant ses crocs de macho. Au mieux, les autres se disputaient son mépris. A la rigueur, la frémissante Angèle échappait au lot commun.
Dans le parc, l'homme lançait sur le chat des graviers par poignées. Cécile avait reconnu le comportement du Gémeaux, joueur cruel, puéril et morbide, le signe qu'elle abhorrait sans condition. Elle-même native du Sagittaire, monstre de domination à la justice implacable, elle se figurait plus robuste que le granit en niant la part intime qui travaillait à sa destruction.
A l'approche de l'homme revenant poings serrés vers le château, elle se dissimula derrière le rideau. Quel Gémeaux plus Gémeaux que Gorbuth ?

La fille du roi et la grenouille

 

Grisée par les effluves de sangria, la musique de la fête hurlait dans l'appartement de Cécile. Angèle cherchait depuis un bon moment à attirer l'attention de Mutin dont le visage imberbe s'était marbré de rougeurs quand elle s'enhardit à grimper sur ses genoux pour l'embrasser. Il murmura qu'il l'aimait. Elle s'épouvanta à prononcer la même chose. Plus tard dans la nuit, ils roulèrent l'un vers l'autre sur le matelas crevassé. Elle guida, sous son chandail, la main lourde de Mutin qui ronflait déjà. Mutin... Mutin... Pourquoi la main ne se fermait-elle pas sur son sein ? Mutin... Au petit matin, ils attrapèrent le premier métro sans échanger un seul mot. En descendant de la rame, Mutin promit à Angèle de la rappeler dans la soirée. Quand il l'invita chez lui après deux semaines de silence, elle bondit à sa rencontre. Si l'alcool avait manœuvré Angèle au-delà des audaces admissibles, la lucidité régnait à nouveau en despote dans son esprit. Derrière la porte entrebâillée de la chambre de bonne, Mutin l'attendait jambes écartées sur le canapé-lit. Il écrasa sa cigarette avant de l'attirer à lui.
Il coassa des termes dissonants et Angèle dévala l'escalier en apnée. Son errance la mena jusqu'au troquet où, devant une tasse fumante de chocolat, elle récupéra peu à peu sa respiration. Elle tira sur la cigarette dont la chaleur pénétrait ses longs doigts glacés. Mutin n'avait plus rien du prince charmant dont elle avait rêvé la nuit. Les relents de tabac dans son haleine et ses yeux qui sautillaient dans le gin l'avaient affranchie sans cérémonie. Elle avait supporté les caresses obscènes puis les avait repoussées à la force de son désespoir. Comme Mutin s'acharnait à vaincre, le genou d'Angèle avait atteint les testicules au travers de son caleçon à carreaux rouges et blancs. (.../...)