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Préface
Table des Matières

 
 

 

Dernière main

Suant de mille pores
Le marbre ciselé
Dans l'atelier dédié
Aux méandres du corps

La porte se referma et les craquements amplifièrent la nervosité de Sanctis. Il s'enveloppa de l'obscurité, l'oreille aux aguets. En ôtant ses mocassins, il assura le mutisme de ses pas. Ses fesses crevèrent le couvre-lit rose. Quelques secondes d'appréhension encore avant d'oser l'abandon.
Tous dormaient.
Il se réjouit pudiquement du silence qui n'avait de cesse de le hanter la nuit. Nulle plainte déchirante du plancher verni, nul soubresaut mécanique de l'horloge, nul soupir malade contre les volets ne menaçaient la suspension féerique. Sanctis se sentait seul, libre et plus seul encore.
Sa main remonta la couture du pantalon. Le bout des doigts frôlant la peau, les paupières s'affaissèrent. Sanctis, aux exhortations des anges ou du démon, s'insinuait dans l'antre de la Chair et de la Création. Malgré la douleur, il se voulait Pygmalion. Un voile vaporeux nimba l'image caressante de la statue. Au gré du souffle expiré, Julien s'anima, nu et musclé, le torse droit sous la toison frisée. Il était beau, très beau, Sanctis le trouvait beau et puissant, le modelé de ses lèvres attirant.
Sa main agrippa la couverture de velours rose comme se profilait le Phénix moribond du dénouement. Les deux hommes jouiraient ensemble et Sanctis ânonnerait seul le prénom de Julien.

Bonne mine et mauvais jeu

Le don de la chaleur
A ma peau assoupie
Ravive l'insomnie
De mon cœur destructeur.

Ignorants du couvre-feu, les noctambules se serraient à la table de lecture de la Bibliothèque en goûtant la parenthèse ludique qui éloignait spectres du sommeil et de l'ennui. Silice saignait viscéralement pour le jeu du Cadavre Exquis. Bien que Balkis y mît aussi quelque ardeur, il soupçonna son insincérité et fronça les broussailles irrésolues de ses sourcils. "Ce jeu m'a consolé quand j'étais interne au collège". La plume penchée sur la feuille de papier, vissée dans la main comme un stylet, Balkis négligea de l'écouter. Son visage à l'ovale parfait cristallisait des traits désertés par la compassion quand elle en articula la mécanique. Tu écris un mot, n'importe quoi... Et moi j'en inscris un autre après toi. Après tout, quelle importance pour Silice si elle simulait ? Il prenait à témoin la lune d'albâtre de ce que le Méchant Galoup échouerait à le dévorer cette nuit encore. Balkis assembla de sa voix rauque les derniers mots griffonnés. Le roquet de chambre avale ses testicules. Embrasée sous le regard de Silice, elle lâcha le stylo pour palper le crucifix porté haut sur sa poitrine. Désintéressé et délirant, tolérant et désinvolte, son ancien camarade d'école échappait aux canons classiques de virilité. La nature élégante l'avait amorcée à son insu, comme en traître, suscitant un espoir confus, source de paix et de frustration. Ses lèvres frémirent lorsqu'il enchaîna à son tour les termes échangés. La pute aux seins liés monte un hibou piqué. Trop de nuits blanches s'étaient succédé pour que Silice espérât gesticuler ailleurs que devant un miroir déformant. Il avait choisi l'illusion trompeuse en lieu et place de la souffrance advenue des rêves. Le frère siamois que le corbeau enconne s'agrippe au manche du cerisier licencié. En se décidant à marquer la surprise pour le maniement de vocables aussi crus, il ferra fermement sa victime. Il reprit le couplet de la chanson, là où Balkis en avait perdu le cours. Oui, c'est ça le jeu du Cadavre Exquis. Nous allons y jouer toute la nuit. (.../...)