Exil ou liberté : (: ascendant - : oncle - : cousin)
Jean Charaixménager à Malarce (1702 - 1735)

Françoise Charaix, est mariée à Malarce, elle habite le Jaugin (près de l'église et de l'actuelle Mairie-Ecole), centre de la paroisse autant qu'elle puisse en avoir un. Il est probable qu'elle est à l'origine des démarches qui ont abouti au mariage de son jeune frère avec l'héritière d'un petit propriétaire local.
L'inventaire du 13 mai 1707 atteste qu'elle habite, avec Louis François Reversat son époux, une maison à deux niveaux entourée de constructions pour les animaux et de quelques dépendances. Le rez-de-chaussée, cuisine avec cheminée et cuve pour le cochon enchâssée dans le mur, pièce principale et chambre, possède trois portes et cinq fenêtres dont celles de la pièce principale sont voilées et munies de vitres en assez bon état. Le premier étage auquel on accède à partir de la cuisine reproduit le rez-de-chaussée. À l'extérieur sont l'écurie des moutons, la base-cour, l'étable des cochons, la cave et une remise. Elles contiennent râteliers, échelles, grazals, cuves et tonneaux . Les meubles sont majoritairement en bois de châtaigniers, avec un peu de sapin et de noyer. Ils consistent en une maie à pétrir, des archibans, des tables dont une ronde et pliante, des escabeaux, des coffres, des caisses, des garde-robes, deux buffets dont un à armoires, des chaises dont une dite de commodité, des lits avec sur-ciel, un petit miroir. Portes, tiroirs gonds, bandes, serrures et clés sont scrupuleusement notés. Les ustensiles utilisés sont des seaux, une bassine, des oules, des chaudrons, des poêles avec ou sans friquet, des cuillères, une lèchefrite, une aiguière, des pintes, des tasses, des assiettes, des plats, des salières, des écuelles, une bassinoire, une oulette pour l'huile, un toupin pour les châtaignes et une chose (!) pour les fromages, une pierre couverte pour tenir l'huile, une saladouire, un entonnoir, un sous coulon. Les métaux utilisés sont le fer blanc, le cuivre, le potin, l'étain et le laiton. Parmi les outils on trouve une balance romaine, une lanterne, un marteau, des sonnettes, une véronnière, un tamis, une scie touradouire, des haches, une petite varlope, une hache coniasse, des coins, des dévidoirs, une pigasse et une bêche. Le linge (le coffre de l'épouse n'est pas inventorié) consiste en paillasses, matelas, traversins, linceuls, couvertes et garniments pour les lits, nappes, chemises, vergettes, un manteau, un chapeau, une paire de souliers, un justaucorps, une paire de culotte, des bas. Les tissus sont le cadis gris ou furet, la serge et la toile de maison. Un coffre contient les registres notariaux d'un ancien notaire et des obligations pour plus de mille livres. En réserve douze livres de laine surgée, trois jambes de cochon salé, soixante livres de lard salé, dix setiers de piquette, du bois - ais, dougues, chassis, perches et coubles - et du fer - bandes, vieille épée, bride de mors et couvercle de marmite -. À l'extérieur vivent une truie avec trois petits cochons, une chèvre, sept brebis, deux moutons, trois agneaux (pas de poules dévoreuses de grains !). Le tout est évalué à cent livres. Sans doute mécontent, le gendre Coulomb refuse de signer.

Dans cet environnement sans confort, il est difficile d'imaginer la vie quotidienne rythmée par la lumière du jour, la gestion permanente de la promiscuité, la simplicité de la nourriture et des vêtements, l'économie continue des matériaux utiles. Couteaux, fourchettes, verrerie, linge de corps et d'autres objets familiers ne sont pas cités. Comment ne pas, alors, envisager avec effroi l'existence des familles de ménagers, des travailleurs de terre et pis encore celle des errants et laissés pour compte sociaux.
Le 25 janvier 1688 "a été baptisée Catherine Parran fille légitime de Sauveur et d'Anne Mathieu âgée de quatre jours du lieu du Puech. Le parrain a été Vidal Labalme du lieu de Beau-jeau paroisse de Lafigère, la marraine Catherine Bastide du lieu du Puech. Le parrain signe, la marraine interpelée de signer a dit ne le savoir".
Outre Catherine, Sauveur Parran et Anne Mathieu ont eu quatre enfants Marie, Marguerite, Sauveur et Jean. Les paroissiaux présentent, ici aussi, une lacune de 1698 à 1723. Cette période troublée aurait marqué la limite de notre recherche agnatique sans le petit miracle du 14 juillet 1708 dont j'ai parlé au chapitre 5.
Je fixe la date du mariage en 1702, pas plus tôt car Catherine Parran n'a alors que 14 ans - Jean Charaix en a vingt huit - pas plus tard car le contrat de mariage fut passé chez Me Louis Charaix, frère du marié, décédé en 1703. Le couple s'installe au Puech, piton rocheux sauvage qui surplombe, sous le Jaugin, le Chassezac et la route de Thines.

Quelques maisons de pierre grise, étroitement enchevêtrées révèlent encore une vie communautaire forte et des partages familiaux répétés. Il y a du monde au Puech, les Parran et les Charaix, certes, mais aussi les Lavie, les Bastide, les Rouveyrol, une collectivité qui vit et peine au milieu des châtaigniers, tirant du lait de quelques chèvres et de morceaux de lard éternellement recuits l'essentiel des protéines indispensables, ajoutant à l'ordinaire en été quelques poissons arrachés aux basses eaux, à l'automne des ventrées de champignons, boulets, oreillettes, galinoles, sanguins et autres pieds de moutons plus parfumés que nutritifs quand manque le nécessaire pour les accommoder, faisant des miracles sur des bouts de jardins, étayant au flanc de la montagne à grand renforts de lauzes les moindres surfaces susceptible de porter de la vigne ou de donner du foin. Partout, jusqu'aux Trouillasses voisines, la terre est objet d'amour, de respect et de convoitise.

Lorsque certains matins l'aube enflamme pour rire les pins du Serre de l'Emblard, Jean Charaix ressent peut-être la nostalgie des réveils bourdonnants de la maison familiale, mais il éprouve plus souvent, en quittant la chaleur de sa jeune épouse pour celle des premiers rayons qui caressent les rochers familiers, la fierté d'être ici le premier. Car il est le premier chez les Parran puisque le 18 avril 1721 Sauveur Parran du Puech de Malarce "étant dans son lit détenu de maladie corporelle toute fois dans ses bons sens, mémoire et entendement" "a recommandé son âme à dieu le père tout puissant le priant par les mérites de la mort et passion de son cher fils Notre Seigneur Jésus Christ de bien vouloir lui pardonner ses fautes et péchés et son âme étant séparée de son corps la recevoir dans son royaume céleste de paradis au rang des bienheureux" lègue six cartiers de blé aux pauvres, trois livres pour le repos de son âme, deux cent cinquante livres à ses fils Jean et Sauveur payables par trente livres tous les ans à partir de leur mariage ou de leur trente ans, en plus à son fils Jean son coffre de bois noir vide, vingt livres à Sauveur Charaix son filleul et filésin fils de Jean et de Catherine Parran quand il aura vingt cinq ans. À son épouse Anne Mathieu, si elle se fâchait avec son héritière, il laisse une pension alimentaire annuelle de blé seigle, châtaignes blanches, bon vin marchand, lard, provision de bois et de légumes, et nourriture d'une chèvre, plus une robe de cadis maison et une paire de souliers tous les trois ans et la jouissance d'une sienne maison. Il nomme héritière universelle de tous ses autre biens qu'il estime à deux cents livres sa fille Catherine femme de Jean Charaix en la chargeant de payer les legs ci-dessus "si a prié les témoins ici présents et par lui bien reconnus de sondit testament et disposition vouloir être record et mémoratif pour en porter témoignage partout où besoin sera et nousdit notaire d'en retenir acte". Le cadeau semble un peu empoisonné car les legs aux garçons engagent les héritiers sur une longue durée mais je ne sais pas combien Jean a versé dans l'escarcelle du mariage. La richesse n'ayant de sens qu'en fonction des besoins, ils sont des membres aisés de leur communauté.
Quand, en 1723, reprennent les paroissiaux de Malarce, la plupart des enfants de Jean Charaix et de Catherine Parran sont nés. Je situe vers 1707 la naissance de Sauveur François - cité dans le testament de son grand père - qui, en deux mariages, établira le record familial de procréation, vers 1715 celle de Jeanne, vers 1716 celle d'Hélène (morte le 4 juin 1726), vers 1720 celle d'André dont la descendance est notre ascendance, vers 1722 celle de Joseph qui meurt garçon le 16 décembre 1743. Si, comme je l'ai conjecturé le mariage eût lieu vers 1702, l'époux, l'épouse et la nature attendirent que la petite Catherine devienne grande avant de la faire grosse. Les prénoms choisis, à l'exception de Sauveur, dénotent une forte référence à la famille des Salelles. Le 8 juillet 1725 Marie Anne Charaix paraît dans le registre réapparu. Son oncle et parrain, Pierre Charaix, confirme les relations avec les Charaix des Salelles.
A la même époque, croissent et se multiplient les Charaix de Chastaniers enfants de Jean et Jeanne Delenne originaires de Lafigère avec lesquels je n'ai trouvé aucune parenté.

Le siècle des Salelles est mort, vive le siècle de Malarce ! Avant de tourner la page et d'énumérer dans les prochains chapitres les événements qui courent à notre rencontre, ayons une pensée affectueuse pour les protagonistes de cette transition qui vont disparaître en quelques mois. Anne Mathieu, veuve de Sauveur Parran, meurt le 26 mars 1733 âgée de quatre-vingt ans environ, puis "l'an 1734 et le 28° janvier est décédée Catherine Parran âgée de quarante-trois ans ou environ ensevelie le 29 du même mois dans le cimetière de la nouvelle église, elle était l'épouse de Jean Charaix du lieu du Puech de cette paroisse". L'enterrement est fait par le curé Phasy. Son clerc André, dont la signature Charaix est régulièrement présente dans les registres des années trente (mil sept cent bien sûr), n'optera pas pour le diaconat puisqu'il est notre ascendant.
Le 17 juin 1735 "Jean Charaix ménager du lieu du Puech de cette paroisse âgé de soixante-dix ans ou environ est décédé sur les six heures du matin en la communion de notre mère Sainte Eglise catholique apostolique et romaine duquel le corps a été inhumé dans le cimetière de la nouvelle église de cette paroisse le 16e du même mois après avoir reçu les sacrements de pénitence, d'eucharistie et d'extrême-onction". Si le prêtre accorde à Catherine trois ans de moins que son âge, il en attribue neuf de plus à son époux. La fréquentation de jeunes femmes réjouit l'âme mais consume la santé du travailleur. .../...