Le 27 juin 1641, Jacques du Roure seigneur de Saint
André Lafigère et procureur de Jacques de Montjeu seigneur de Chassagnes
reçoit de Françoise Jallet vingt deux livres dix sols
pour l'entier droit de lodz sur la pièce de terre appelée le Fournoy ou Vignelongue
achetée par son mari à Maurice Borrel l'année précédente.
Le 22 août 1643, Claude Decanata bachelier en lois de Lagarde
Guérin procurateur de noble Charles de Motet Moranges seigneur dudit
lieu de Lagarde Guérin, Mores,
Labaume, Sainches, Alteyrac,
coseigneur de Villefort et autres places a appris que
Mauricet Borrel du Conchaix avait vendu à Antoine
Charaix
du même Conchaix
"une pièce de terre contenant maison, ruines, parran et pré assise audit
lieu de Conchays terroir appelée lou Combalas que confronte du pied avec le
valat de la Combe du chef le chemin qui va des Sabatiers à l'église",
et "autre pièce vigne et oliviers sous le lieu des Moriers appelée le
Fournail que confronte du pied avec le che-min allant des Sabatiers au grand
chemin ferré qui va de la Pontière à Seyras" "et d'autre contrat
portant au placement du prix de ladite pièce jusqu'au prix de quatre cent trente
trois livres" dans la directe du seigneur de Moranges. Decanata "ratifie,
homologue et confirme" la vente à Françoise Jallet
"cède point en point
selon ses prix et termes" et reçoit quarante livres pour les droits
de lodz "comme dit est l'ayant fait grâce du surplus".
Des lacunes importantes assorties d'une malchance insigne me laissent
dans l'ignorance des dates de naissance des enfants du couple et de celles de
leurs mariages. J'ai admis l'hypothèse suivante qui concilie l'éventualité d'allaitements
prolongés, de contraception bien gérée, de quelques fausses couches et décès
en bas âge, avec les certitudes historiques : Jeanne
naît autour de 1620, Marguerite
en 1623, Marie
en 1627, Antoine
en 1630, André
en 1633 et Jean
en 1636.
En 1642, Marie Jallet
, la jeune sœur dont Françoise
fut marraine, a épousé Claude
Crégut d'Elze et "en suite icelle Jallette s'étant
aperçu du degré de parentage qui était entre eux du quatrième degré de consanguinité
et lequel par conséquent leur faisait obstacle à l'éternisation dudit mariage"
"se serait pourvue devant Monseigneur l'illustrissime et révérendissime
évêque et comte d'Uzès ou son official et vicaire général et obtenu ordonnance
par laquelle ledit mariage est déclaré nul et nullement contracté et permis
auxdites parties de se marier ailleurs comme bon leur semblera avec dépens taxés
à la somme de cinquante livres douze sols". L'époux "s'étant
pourvu par requête en retractement en fut démis et débouté" le 20
décembre 1651 avec vingt quatre livres de dépens. La cause étant entendue,
Marie
"aurait formé autre instance devant les officiers ordinaires dudit
lieu d'Elze en restitution de la somme de huit cent quarante livres que ladite
Françoise lui aurait constituée par ledit mariage". L'ex-époux après
une décision de vente aux enchères par la cour du sénéchal de Nîmes et des menaces
de nouvelles poursuites accepte la transaction du 15 octobre 1652 arbitrée
par le notaire et le bailli au mandement de Lafigère
dans laquelle Françoise Jallet
intervient "pour et
au nom de Marie Jallette sa sœur desdits lieu et paroisse et comme ayant charge
expresse d'icelle". L'annulation du mariage est mutuellement approuvée
et la somme à verser pour la dot, ses intérêts, les dépens signalés plus haut
est fixée à mille livres. Combien de temps fallut-il à Marie pour choisir de
retrouver au Conchaix l'enveloppante affection maternelle
de sa grande sœur en abandonnant à Elze son mari, son
lit et les mystères qui les entourent ? Dans cet univers clos, où la malédiction
du formariage pèse encore sur les mariages étrangers, les parentés au quatrième
degré - un arrière-arrière-grand-père commun - ne doivent pas être rares et
l'argument bien commode pour rompre ce que Dieu a uni. La preuve est faite en
tout cas que l'église ne plaisantait pas avec les mariages consanguin bien qu'il
lui arrivât d'accorder des dispenses à partir du troisième degré.
Jeanne Charaix
(Charaisse), fille d'Antoine
, a épousé Pierre Borrelly
des Ferrands de Gravières en
1644. Le 8 mars 1649 Françoise Jallet
verse cent livres et le 24
février 1653 "la somme de trois cent quarante cinq livres tournois
et une robe de serge en pistoles espaigne, écus blancs, sols et autre bonne
monnaie" à Pierre Borrelly pour entier paiement de sa dot.
Marguerite Charaix
, autre fille, a convolé en
justes noces avec Louis Meynier marchand des Vans qui
reçoit deux cents livres le 29 octobre 1652, cent livres le 13 mai
1653 et encore cent livres le 13 mars 1655. Le couple aura (au moins)
un fils Jacques
.
Marie Charaix
, sœur des précédentes, est
mariée avec Simon Gévaudan des Maurines de Thines.
Le 20 juin 1659 son époux reçoit de sa belle-mère trois cent cinquante
six livres et une robe de cadis "destinée à l'usage de Jeanne Pellette
aïeule dudit Gévaudan" en déduction de la constitution de dot faite
dans son contrat de mariage.
Avouons notre ignorance du devenir des garçons, tournons notre regard
vers le nord, au delà de Saint Pierre le Déchausselat
et Saint Jean de Pourcharesse, jetons un regard ému
en traversant la paroisse de Saint André Lacham sur
le hameau qui porte notre nom, et arrêtons-nous dans la vallée suivante, sur
les bords de la Dourbie au Grimaldès de Sablières.
Le 7 décembre 1651 Anne Guilherme veuve d'Henry Bourzes
(Bourges) notaire royal
donne à son fils aîné Noël
, notaire royal, déjà possesseur
de la moitié des biens de son père, l'autre moitié de tous et chacun ses biens
"quitte et exempte de légitime de ses autres enfants par preciput et
avantage" ainsi que l'entière succession de son fils Etienne
décédé ab intestat "sans
s'en réserver aucune chose que seulement d'être nourrie et entretenue sur lesdits
donnés ou sur icelui qu'elle retient bien durant sa vie". Les descendants
d'Henry Bourzes
vont-ils croiser la route
de nos héros ! Ne manquez pas les prochains épisodes.
Pas plus qu'Antoine Charaix son feu mari, Françoise
n'appose sa signature au bas
des actes notariés ce qui ne l'empêche pas d'assumer sans faiblir son activité
de chef de famille empruntant, remboursant, achetant ou réalisant des transactions
axées vers l'acquisition de terres.
Le 16 février 1652 elle achète aux époux Combalusier pour
vingt-sept et trente-trois livres payables le jour de Pâques prochain deux prés
situés aux Sabatiers de Conchaix,
"lequel prix ont dit être juste et raisonnable eût égard aux cours du
temps présent, bonté et fertilité desdites pièces et estimation qui en a été
faite par Sr Jean Monteil prud'homme et expert à ce commis". Le contrat
laisse à l'acheteuse le bénéfice de plus values si la valeur du terrain a été
sous-estimée.
Le 13 avril 1652 Jacques Viollet des Champels
qui détient depuis le 3 juillet 1647 une reconnaissance de dette de treize
livres six sols contre Antoine Combalusier obtient de la cour de Nîmes
une ordonnance de délivrance avec dépens de huit livres dix sols deux deniers
(!) qu'il remet à Jean Borrelly marchand du lieu de Conchaix.
Pauvre Combalusier ! Le 21 avril 1652 il reçoit de Françoise Jallet
trente huit livres quatre
sols pour l'entier paiement des soixante livres du contrat de vente "compris
audit entier paiement la somme de vingt une livre seize sols que ladite Jallette
aurait payée à Jean Borrelly marchand de ladite paroisse des Salelles à l'acquit
dudit Combalusier par quittance reçue par moidit notaire le treizième jour du
présent mois".
Le 29 mars 1649 Jean Morier des Siroliers
de Saint Jean de Pourcharesse et Françoise Jallet
ont prêté à Pierre Privat
de Montachard cent quarante livres qu'il devait à Antoine
Pellet de Chapiral en échange des fruits, rentes et
revenus d'une pièce de terre contenant vigne, pré, jardin et mûriers sise à
Montachard. Le 5 mai 1653 Jean Morier reçoit
de Françoise Jallet
la somme de quarante livres
qu'il avait engagée dans la transaction et lui cède les droits qu'il possédait
sur la terre "d'autant que les cultures et jouissances de ladite pièce
incommodent ledit Morier pour être ladite pièce éloignée de son domicile d'environ
une lieue". Ici encore, l'endettement joue son rôle antisocial dans
une transaction foncière en déplaçant la propriété vers le plus possédant. Entre
les mains des professionnels du papier timbré les reconnaissances de dettes
sont des armes redoutables. Contraintes, peines et dépens alourdissent les sommes
dues jusqu'à rendre impossible leur remboursement. Le pouvoir central français,
contrairement au système anglais de l'époque, va tenter par des lois protectrices
de ralentir le cycle infernal "diminution des revenus => vente de terres"
qui rassemble la terre entre les mains des mieux pourvus souvent exempts institutionnellement
d'impôts.
Le 9 novembre 1653 Pierre Fustier fils de Pierre de Langlade
de Gravières emprunte cinquante livres à Françoise Jallet
qu'il "dit avoir employée
à l'achat de huit moutons cinq blancs et trois noirs et un petit pourceau à
poil blanc" ce qui met le mouton entre cinq et six livres.
Le 30 septembre 1656 Françoise Privat de Luminières
est condamnée à payer cinquante quatre livres deux sols de capital et quatre
livres seize sols six deniers de dépens et taxes à notre Françoise
. Le 14 octobre son
mari Laurent Sabatier paie de ses mains et de son argent propre la somme due.
Il lui appartiendra d'en obtenir le remboursement par sa femme. Étonnante indépendance
économique d'une épouse au sein d'un couple !
Le 2 février 1657 Françoise Jallet
rachète à Jean Jallet marchand
et second consul des Vans deux obligations d'un montant
de cent vingt six livres gagées par une terre contenant châtaignier et vigne
appelée lou Travers au terroir de Luminières appartenant
à Jean Feissel de Luminières. Elle lui remet une obligation
de trente une livres huit sols consentie le premier octobre dernier par Jean
Delavie marchand des Vans, beau-père de Jean Jallet,
"et laquelle rémission de la susdite somme de trente et une livres huit
sols ledit sieur Jallet a aussi prise à ses hasards, périls et fortunes sans
que ladite Jallette l'en soit tenue d'aucune éviction et garantie"
et pour les nonante quatre livres douze sols qui restent, elle verse douze livres
immédiatement et s'engage à payer le reste de jour en jour à la volonté et première
réquisition dudit Jallet. Le 12 mai 1657 "Jean Jallet marchand
consul moderne de la ville des Vans de son gré a confessé avoir eu et ce jour
d'huy reçu de Françoise Jallet du lieu de Conchais paroisse des Salelles absente
Mr André Charais son fils ici présent et pour elle stipulant et acceptant la
somme de huitante deux livres douze sols" pour entier paiement du contrat
ci-dessus. C'est la première apparition d'André Charaix
mais la redoutable veuve d'Antoine
n'est pas encore prête à passer
la main.
Le 28 avril 1657 Françoise Jallet
reçoit, après une action en
justice, la somme de septante-huit livres dix sols de Jacques Nadal de Malbosc
et Antoine Hours cordonnier du Chambon correspondant
à une vente de moutons. On entrevoit en quoi consistait le travail au
Conchaix, culture, élevage et négoce. Nadal et Hours de Malbosc
s'associeront, quelques deux cent cinquante années plus tard, aux descendants
de Françoise
(et aux Pomel de Gagnières).
De l'autre côté du Chassezac, sur la paroisse de Gravières,
au pied de la côte de Folcheran, le 26 octobre 1658
"Jeanne Charaix veuve et héritière de feu Mr Pierre Borrelly des Ferrands
paroisse de Gravières laquelle sachant ledit Borrelly son mari être débiteur
envers Mr Jean Borrelly procureur en cours de Nîmes son frère de la somme de
vingt huit livres quinze sols par prêt verbal de compte arrêté et être dû audit
sieur Borrelly par feu Mr Marc Borrelly son père la somme de deux cent dix livres
de capital pour raison de laquelle il aurait obtenu jugement et condamnation
de la cour et siège présidial de Nîmes en date du gb quarante sept"
remet à son beau-frère, en déduction des sommes ci-dessus, une obligation de
cent livres consentie par Jean Gasc d'Eynesses à son
mari le 8 mars 1649. Jeanne, c'est la fille de Françoise
Jallet
qui s'est mariée en 1644.
Le 17 mars 1659 "Messire Anthoine Pellet prêtre et chapelain
de la paroisse de Gravières" reçoit de Jeanne Charaisse
"quarante livres
de capital que ledit feu Borrelly lui devait par obligation reçue par Me Folchier
notaire le 13 décembre 1650 et l'en quitte ensemble de cinq livres pour la pension
qui avait couru pendant deux ans avant ledit paiement comme plus à plein en
apparaît en marge de ladite obligation et cancellation ci apportée du 25 août
1656". Il apparaît clairement que la femme placée dans le couple sous
la tutelle de l'époux, seigneur et maître des biens doctaux, acquiert dans le
veuvage une réelle liberté d'action, de pouvoir et de décision. La vie de notre
Françoise
en est un exemple éclatant.
Le 2 mars 1665 Jacques de Compang sieur de Termes
docteur et avocat des Vans reçoit quarante livres d'André
Charaix des Sabatiers
de Conchaix "pour paiement des arrérages de
censes des pièces que ledit Charaix tient se relevant de la directe et seigneurie
dudit sieur de Compang assise dans ladite paroisse des Salelles et de tout le
passé jusqu'au jour présent et suivant la reconnaissance faite par Françoise
Jallette audit sieur de Compang reçue par Me Pierre Mourgues notaire en sa date
et aux dépens faits à faute de paiement à raison de l'instance féodale intentée
par ledit sieur de Compang contre ledit Charaix de la cour de monsieur le sénéchal
de Beaucaire et Nîmes d'autorité de qui ledit sieur de Compang aurait obtenu
dépens contre ledit Charaix". Le 16 novembre 1665 le même Compang
a obtenu dépens de la cour et siège présidial de Nîmes
contre le même Charaix
"à raison d'une pièce
pré par lui acquis de noble Jacques Dhéral sieur de Chabottes ayant été de feu
Anthoine Combalusier par contrat de vente reçu par Me Régis notaire en sa date.
Sur laquelle instance serait intervenu jugement au rapport de monsieur de Vallongues
conseiller du roi en ladite cour par lequel ledit Charais se trouve condamné
à reconnaître audit sieur de Compang ladite pièce au paiement du droit de lodz
accompagné de censes avec dépens et désirant lesdites parties de renoncer audit
procès et d'exécuter ledit jugement". André
verse cinquante livres "et
ce pour paiement tant dudit droit de lodz dû audit sieur de Compang à raison
de ladite acquisition arrérage de censes de tout le passé jusqu'au jour présent
que dépens faits à faute de paiement contenus audit jugement présidial"
"se quittant et entrequittant lesdites parties respectivement de toutes
les autres affaires qu'ils pourraient avoir ensemble du passé jusqu'au jour
présent". Souhaitons que d'autres tentatives de fraude fiscale, plus
légitimes à cette époque d'inégalité sociale qu'à la nôtre, aient été couronnées
de succès.
Un beau jour, entre 1655 et 1665, André Charaix fils de Françoise
et d'Antoine
a épousé Jeanne Bourzes
fille de Noël
notaire royal et de Marie
Bellidentis
du Grimaldès
de Sablières dont nous avons parlé il n'y a guère. Le
26 septembre 1675, près de 35 ans après la mort de son mari, Françoise
Jallet
veuve d'Antoine Charaix
donne cent livres à Françoise
Charaix
sa petite fille et filleule,
conserve les fruits nécessaires à son entretien et cent livres pour le bon dieu,
transmet le reste de ses biens à André Charaix
son fils … et disparaît. Chapeau
l'ancêtre ! .../...