La vallée sans clocher...

Aussi incroyable que cela puisse paraître, aucune
des communautés du mandement de Castillon de Courry ne possède une
église. Les fidèles dépendent géographiquement de trois paroisses :

Saint Martin et Notre-Dame à
Courry.

Saint Andéol à Robiac.

Notre Dame de l'Assomption à
Sénéchas.

Au sujet de la paroisse de Courry, une addition
au
Cahier de doléances des
habitants de la communauté de Castillon de Courry du 12
mars
1789 rappelle que « les habitations, au nombre
de plus de cent, du mandement de Castillon qui dépendent de ladite
paroisse pour le spirituel produisent la moitié de sa population » et
« qu'il ne fut jamais plus nécessaire de construire une
église au lieu des Salles, principal village dudit mandement faisant
partie de la paroisse de Courry » pour les raisons qui suivent :

La distance des Salles et
autres hameaux à l'église de Courry est comprise entre trois quart de
lieue et une lieue et demie par des chemins montagneux. En conséquence
les personnes âgées ou malades sont privées de messe, de même que les
jeunes gens sont privés d'instruction chrétienne de telle sorte qu'on «
élève une troupe de jeunes gens de tout sexe qui n'ont ni religion, ni
foi, ni loi

». De plus, du fait de
l'éloignement, bien des personnes meurent sans sacrement.

La construction de l'église ne
nuirait en rien à M. le curé de Courry puisque le chapitre de Saint Ruf
à Valence (dont dépend l'église de Courry par l'intermédiaire du
prieuré de Bonnevaux) lui fixe pour sa congrue les fruits décimaux du
mandement de Courry. Il ne touche rien des 1 200 livres que lèvent les
décimateurs du chapitre de Valence sur les habitants du mandement de
Castillon qui dépendent de la paroisse de Courry « de sorte qu'à
proprement parler, M. le curé ne perdrait rien de ses droits et les
habitants de Castillon recevraient un secours spirituel qui vivifierait
les âmes déjà mortes ou insensibles. ».
Querelles de clochers

La loi du 18 floréal de l'an II (
1794)
institue le culte de l'Être suprême. Le 15 prairial, « la municipalité
de Castillon faisant les fonctions de celle de Courry » arrête qu'il
sera mis en grosses lettres sur la ci-devant église de Courry «
le peuple français reconnaît l'Être
suprême et l'immortalité de l'âme ». Comme il n'a jamais
existé d'église dans la commune, les citoyens de Castillon seront
convoqués pour choisir un édifice propre à mettre la loi en application.

Le 22 mai
1802,
le conseil de Castillon précise que les fidèles de la commune dépendent
des paroisses de Robiac, Courry et Sénéchas.

En mars et novembre
1808, le
Conseil de Castillon insiste sur l'impossibilité pour les fidèles de
Foussignargues de se rendre à Courry.

Le 12 mai
1828, le conseil de
Castillon déclare qu'il a été choisi un local très favorable pour
construire l'église, que le terrain a été donné par M. de la Nouvelle
et que M. Vernet en a ajouté une partie pour avoir une belle place
devant l'église. Le budget prévisionnel de la construction est fixé à
17 000 F. Le conseil adresse au préfet et à l'évêque le vœu « que notre
église soit érigée en succursale
(1)
et que le prêtre chargé de nous desservir soit résident dans la commune
afin [...] de rendre exécutoire la souscription volontaire [...] de 10
440 F que nous avons l'honneur de vous adresser ; une commune de 1 165
âmes peut bien être érigée en succursale ». À quoi, l'Évêque répond que
son approbation ne sera donnée qu'après l'entière confection de
l'église et du presbytère.
L'Église de la Ganière sera à Foussignargues.

Le 8 février
1829, le conseil
de Castillon demande que la commune de Castillon soit distraite de
Courry et érigée en succursale particulière sous le nom de Castillon.
Castillon
obtient son église paroissiale en 1837, son presbytère en
1840
et peu après son cimetière. Le clocher ogival en forme de tour carrée
est construit en
1860.
Et Gagnières ?

Avec les haut-fourneaux et les mines des Salles,
la population ne cesse d'augmenter.

En
1864-1865, des fonds issus
d'une souscription populaire et de quelques familles aisées permettent
de construire une église spacieuse de style ogival. Le conseil de
Castillon reconnaît la nécessité du nouvel édifice religieux qui est
inauguré le 14 mai 1866.

Érigée en chapelle de secours
(2),
l'église est d'abord confiée aux vicaires de Bessèges pour les offices
et au curé de Castillon pour les malades puis à l'abbé Charles Chauvin
qui est nommé prêtre résident.

Le 5 octobre
1866, l'évêque
nomme les premiers membres du conseil de Fabrique
(3).

En mai
1867, le conseil de
Castillon demande que l'église soit érigée en succursale.

En
1868, le conseil de
Castillon décide d'affecter le produit de la vente d'une coupe spéciale
de bois (1 630 F) à l'achèvement de l'église des Salles (acquisition
d'un cimetière ou achat d'un emplacement pour le presbytère).
Le décret
impérial du 15 mai 1869 crée la paroisse de Saint François de Sales aux
Salles
de Gagnières. Le
conseil de Castillon demande que le chef-lieu de la nouvelle paroisse
des Salles soit Bessèges.

Le 28 novembre
1869, le
conseil de Castillon demande au préfet un secours de 800 F pour la
construction du cimetière, en rappelant que l'église des Salles a été
construite par la paroisse à ses propres frais.

Le 14 janvier
1872, le
conseil de Fabrique décide l'achat d'une cloche pour 2 035 F.

Le 21 juin
1873, le clocher
est frappé par la foudre. Le Conseil de Castillon, compte tenu de
l'insuffisance de ses revenus, demande au département un secours de 1
000 F.

Le 11 octobre
1882, la
commune de Castillon achète 7 135 F la maison de M. l'abbé Chauvin,
curé, pour en faire le presbytère des Salles (autorisation préfectorale
du 30 juin
1882).

Mai, juin
1928, l'église est
entièrement restaurée (12 000 F fournis par les paroissiens).

En
1932, une flèche et un
paratonnerre sont ajoutés à la tour qui abrite la cloche
(commune 2 500 F, souscription 7 500 F, emprunt 13 000 F).

En
2004 le clocher a retrouvé
sa forme d'origine.
(1)
Église qui supplée à l'insuffisance d'une église
paroissiale.
(2)
Édifice religieux qui n'est pas utilisé à plein temps.
(3)
Groupe de personnes chargé de la gestion des biens d'une
paroisse.
L'Église

Comme la majorité des édifices chrétiens, elle
présente son chevet à l'est et s'ouvre vers l'ouest et le cimetière.
Sans doute à cause de l'homophonie avec Salles, elle est dédiée à
Saint François de Sales, le
pacifique Docteur de l'Amour, patron des journalistes, qui voulait
ébranler les murs de Genève par la Charité. Elle se compose d'un
narthex surmonté par une tribune, d'une avant-nef qui communique avec
le sud, et d'une nef avec bas-côtés de deux travées. Le chœur est
encadré par deux chapelles (autels en terre cuite de Toulouse) qui
forment un faux transept. Dégagée sur trois côtés, elle s'appuie à
l'est sur les maisons voisines. Elle est flanquée au nord d'un
clocher-tour qui a perdu sa flèche en
2004 pour
retrouver la forme originelle de sa toiture. Une sacristie basse
prolonge le bas-côté sud. Les statues redorées de
Saint Roch, protecteur de la
peste et ami des chiens, et de
Saint
François Régis, jésuite austère et ardéchois célébré à
Lalouvesc, encadrent la sortie ouest.
Le Cimetière

En novembre
1873, le Conseil
de Castillon estime « qu'il serait convenable d'allonger la partie
affectée au
cimetière protestant
et de reculer le mur du midi du cimetière de manière qu'ils soient dans
le prolongement l'un de l'autre ».

Le 27 mars
1896, report d'un
crédit de 3 100 F de l'exercice
1895 pour
l'agrandissement du cimetière et la construction d'un mur de cloture.
Anecdotes

En
1866, le conseil de
Castillon propose à l'autorité supérieure d'accorder aux habitants des
Salles une coupe de 3 000 arbres pour participer aux frais de
construction de l'église. La coupe, faite aux Salles, rapporta 1 630 F.

Toujours en
1866, l'église
n'a pas de clocher. La cloche, que M. Bergeron propriétaire des
haut-fourneaux emporta plus tard à Avignon, était suspendue à un mûrier.

En
1872, après la
construction du clocher, une cloche est achetée 2 035 F à M. Maurel de
Marseille. Elle pèse 501 kg et le joug en fonte qui la soutient 291 kg
(quelques mois plus tard, la foudre tombait sur le clocher !).

Le 13 novembre
1881, les
concessions perpétuelles sont fixées à 100 F / m², les trentenaires à
60 F et les temporaires à 40 F.

Les lois de Séparation de l'Église et de l'État
de décembre
1905, ordonnent l'inventaire du contenu
des bâtiments religieux. La question de « l'ouverture des tabernacles »
provoque une dernière mais violente crise de société.

Le 3 mars
1906, Jules
Mathieu, Président du conseil de la Fabrique, ne laissa pas passer
l'occasion d'exercer sa verve anti-laïque « En présence de la basse
besogne que vous venez accomplir [...] je proteste au nom de nos
enfants à qui nous avons légué la religion de nos pères [...] je sais
que vous êtes à un poste où vous devez obéissance mais en présence du
devoir vous devez plutôt plaire à Dieu qu'aux hommes [...] et je vous
prie, en grâce, de vous retirer si vous ne voulez pas commettre un acte
sacrilège. »